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plus être balancée par aucun contrepoids, et il mettrait dans sa dépendance les autres pouvoirs de l’état. La royauté et la chambre des lords ne seraient plus dès lors que des pouvoirs subordonnés et précaires destinés à servir plus ou moins longtemps comme institutions de décor : elles seraient sacrifiées à la chambre des communes, qui, parlant et agissant au nom du peuple, ne pourrait souffrir à côté d’elle aucun contrôle ni aucune résistance : elles ne feraient plus la loi, elles recevraient la loi toute faite. Pour que la liberté de chacun soit mise derrière le plus sûr abri, il faut que les pouvoirs constitutionnels soient également partagés et contrôlés. C’est cet égal partage qui est l’œuvre enviable du système politique de l’Angleterre : le suffrage universel ne pourrait manquer de la compromettre et de la détruire, s’il était établi pour la nomination des membres de la chambre des communes ; il porterait à la constitution un coup dont elle ne se relèverait plus. Elle aurait beau, grâce au prestige de son robuste tempérament, paraître garder quelques restes de vie ; elle n’en conserverait que les apparences, et il serait bientôt facile de s’apercevoir qu’elle n’est plus qu’un fantôme. La réforme électorale qui attribuerait à tout citoyen des trois royaumes le droit de suffrage aux mêmes conditions, sans tenir compte ni entre les citoyens, ni entre les collèges électoraux, d’aucune différence, serait une révolution, et la pire de toutes : une révolution inutile.

En effet, comment ne pas reconnaître que la conduite constante des affaires publiques par les parlemens élus depuis l’acte de réforme contribue à défendre le système de la loi électorale contre ceux qui, au lieu de le développer, voudraient le changer radicalement ? Les chambres des communes, telles que les ont successivement choisies les classes d’électeurs auxquelles le droit de suffrage a été réservé, n’ont pas cessé de répondre à l’attente de la nation tout entière ; elles n’ont pas seulement défendu toutes ses libertés, mais encore elles les ont complétées. En même temps qu’elles se sont tenues à la hauteur de leurs devoirs politiques, en sachant à la fois contenir et soutenir le gouvernement, en le surveillant sans l’inquiéter, elles ont suffi au travail des affaires, toujours prêtes à redresser les abus sans violence, à préparer et à garantir les progrès, sans être jamais emportées par le goût des aventures. La voix du pays a été écoutée avec déférence ; ses sentimens ont été interrogés avec sollicitude, ses vœux ont été exaucés, ses désirs ont souvent été prévenus. Les mauvaises lois ont fait tour à tour place aux bonnes lois ; les bonnes lois elles-mêmes ont été sans relâche perfectionnées ; toutes les fois que les intérêts populaires ont été enjeu, la satisfaction désirable n’a jamais été refusée, et quand il s’est agi naguère d’assurer au peuple la vie à bon marché par l’établissement de la liberté agricole et industrielle, c’est l’opinion publique qui, servie par