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sur les questions de cause, d’origine et de finalité, mais encore, se servant de l’un d’eux comme d’un instrument, tout préparé, il l’étendit et l’appliqua. Ce serait avoir une idée bien insuffisante de ces grandes rénovations des opinions et des mœurs que d’y voir le simple effet de spéculations abstraites et d’investigations philosophiques : le cœur, les sentimens, la morale, y jouent un rôle prééminent ; pourtant l’esprit y a sa grande part. L’élément intellectuel, quoique moins apparent, y agit d’une façon décisive ; c’est ainsi en effet qu’elles prennent toute leur influence. Si supérieures moralement, elles étaient inférieures intellectuellement, elles ne renouvelleraient pas, comme elles font, la société entière.

La similitude des effets permet de conclure la similitude des causes. Bouddha, Zoroastre et Moïse ont dû à la pensée collective et à leur génie individuel l’illumination qui a éclairé et fécondé tant de siècles et tant de peuples. Les grandes sociétés des bords du Nil, de l’Euphrate, du Tigre et du Gange étaient solidement assises ; des gouvernemens puissans les régissaient ; un sacerdoce qui avait le dépôt des hautes connaissances y représentait le pouvoir spirituel. Les arts industriels avaient fait de grands progrès, les beaux-arts étaient cultivés ; on écrivait, on lisait, comme le prouvent de plus en plus tous les débris qu’on exhume de ces temps reculés. Comment donc en ces circonstances la pensée serait-elle restée inerte et inactive ? Aussi ne le fut-elle pas, et naturellement elle s’exerça sur les questions qui émanaient directement des religions préexistantes. L’érudition peut chercher avec confiance : elle trouvera dans cette antiquité, vers qui elle s’ouvre des voies ignorées jusqu’alors, la trace du travail mental qui agita et renouvela les sociétés.


IV. – DE LA SERIE DES PEUPLES HISTORIQUEMENT LES PLUS ANCIENS.

Réunissant les aperçus divers auxquels l’a conduit l’examen des antiques populations, M. Renan propose, sur l’apparition de l’humanité et sur la succession des races de l’ancien continent, le système que voici : 1° races inférieures, n’ayant pas de souvenirs, couvrant le sol dès une époque qu’il est impossible de rechercher historiquement, et qui ont disparu dans les parties du monde où se sont portées les grandes races civilisées. Les régions où ces grandes races ne se sont pas établies, l’Océanie, l’Afrique méridionale, l’Asie septentrionale, en sont restées à cette humanité primitive qui devait offrir les plus profondes diversités, mais toujours une incapacité absolue d’organisation et de progrès. 2° Apparition des premières races civilisées : Chinois dans l’Asie orientale, Couschites et Chamites (on appelle Couschites les peuples fondateurs de Babylone et de Ninive,