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du ministre. Tout à coup, sous l’impulsion d’un de ces caprices de tendresse familiers aux ivrognes, le ramoneur se lève et veut embrasser M. Redhead. Une lutte s’engage, à laquelle prend part la congrégation. Au milieu des bourrasques et des cris, toute l’assistance sort de l’église ; M. Redhead est renversé dans le cimetière sur un monceau de suie, et s’enfuit à la plus prochaine taverne. Alors la gaieté de la foule, irritée de voir son jouet lui échapper, se tourne en fureur : elle fait le siège de la taverne, et enfonce les portes. Il fallut faire fuir le ministre par une porte de derrière. M. Redhead ne revint à Haworth que plusieurs années après cet événement.

Telle était la manière dont les paroissiens anglicans défendaient leurs droits contre leur ministre. Les dissidens n’étaient pas beaucoup plus souples ; A Heckinondwike, village des environs d’Haworth, il y avait plusieurs chapelles appartenant aux sectes dissidentes, particulièrement aux indépendans. Il était de coutume, à chaque mariage, de chanter un hymne religieux, nommé Wedding Anthemn, après que les dernières prières avaient été dites. Les chanteurs, en récompense, recevaient un petit salaire, qu’ils employaient à boire dans la soirée au grand scandale du ministre, qui résolut de mettre fin à cette coutume. Il fut approuvé dans cette résolution par les membres les plus vénérables de la congrégation, mais la majorité fit à la mesure projetée la plus furieuse opposition. Un mariage devant être célébré et les chanteurs ayant déclaré qu’ils chanteraient bon gré, mal gré, le ministre fit fermer le banc dans lequel ils se tenaient. Ils forcèrent les portes, et au moment où le ministre annonçait qu’à la place de l’hymne il lirait un chapitre de la Bible, ils se levèrent, et, commandés par un tisserand gigantesque, entonnèrent l’hymne prohibée. Ces scènes durèrent plusieurs semaines, et occasionnèrent des batailles fréquentes entre les membres de la congrégation. Le ministre, de guerre lasse, céda la place à ces chanteurs obstinés.

Tels paroissiens d’ailleurs, tels ministres. Parmi ceux-ci, plusieurs sont des hommes d’une énergie à toute épreuve et d’une grande force morale. Deux de ces ministres, dont Mme Gaskell trace les portraits, sont de remarquables échantillons du caractère anglais dans ce qu’il a d’excellent. La rudesse et la dureté que nous avons observées chez les hommes du Yorkshire se retrouvent en eux, mais cette fois appliquées à un but moral. L’un des prédécesseurs de M. Brontë se nommait M. Grimshaw. Il exerça ses fonctions dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, à une époque assez rapprochée de celle où M. Brontë vint prendre possession de sa cure, fut un wesleyen zélé, et a laissé l’ombre d’un nom dans les annales religieuses de l’Angleterre. C’est tout simplement une manière de héros. Lorsqu’il entra en fonctions, il trouva le peuple brutal que nous avons décrit plongé dans un