Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 10.djvu/160

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de ses droits pour mieux accomplir ses devoirs, persuadée de cette vérité incontestable, et que nous connaissons trop peu : qu’il y aurait pour elle triple péril à céder, d’abord parce qu’elle laisserait empiéter sur ses droits, ensuite parce qu’elle se mettrait dans l’impossibilité d’accomplir ses devoirs, en troisième lieu parce qu’en laissant violer en elle la justice, elle se rendrait coupable envers la morale éternelle.

Moins célèbre, mais plus singulier encore que M. Grimshaw, est un certain ministre nommé M. Roberson, ami de jeunesse de M. Brontë. C’est un caractère essentiellement insulaire, chez lequel toutes les grandes qualités de notre nature ont pris une tournure tellement anglaise qu’on hésite à leur donner le nom d’humaines, et qui semble appartenir à une race disparue dont nous n’avons plus aucune idée. C’était un de ces conservateurs comme l’Angleterre en a toujours produit, et comme les autres pays en produisent trop peu, qui s’attachent au passé non par un égoïste amour de l’injustice, mais parce qu’ils craignent que le règne de l’innovation politique ne soit en même temps le règne de l’anarchie. Les souffrances étaient grandes parmi les populations ouvrières pendant les guerres de la Péninsule, et des troubles s’étaient élevés dans quelques districts du Yorkshire à l’occasion de certaines machines introduites dans les manufactures. M. Roberson, qui était l’intime ami d’un manufacturier voisin, M. Cartwright, vint armé jusqu’aux dents, avec tous ses domestiques, défendre la manufacture contre les insurgés. Sa rare fermeté a laissé une telle impression de terreur sur l’esprit des habitans, qu’elle lui a valu de passer à l’état de légende. On raconte qu’il poussa les représailles jusqu’à défendre qu’on donnât de l’eau aux insurgés blessés qui avaient été laissés sur le carreau. Quand les soldats furent envoyés pour réprimer les troubles, c’est lui qui les reçut et les hébergea à la vue de ses paroissiens alarmés. Il avait établi une école de petits garçons, et il portait dans la discipline de cette école toute sa dure excentricité. Il avait inventé des punitions bizarres, celle-ci par exemple : il obligeait les coupables à se tenir des heures entières debout sur une jambe, les mains chargées de deux livres énormes. Un enfant s’enfuit un jour de l’école ; M. Roberson monte à cheval, réclame le fugitif à ses parens, l’attache par une corde à l’étrier, et le force de courir au grand trot jusqu’à l’école. — Sa servante Betty avait un amoureux ; M. Roberson les surprit et demanda au garçon s’il était venu dans l’intention de courtiser sa servante. Le malheureux ayant confessé la vérité, M. Roberson appelle tous les petits drôles de son école : « A la pompe, mes enfans, à la pompe ! » De temps à autre, le ministre interrompait les douches forcées qui pleuvaient sur la tête du pauvre