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appeler la brise. Autour de la Cérès (ainsi se nommait le navire), les émigrants bourdonnaient comme des abeilles qui cherchent la ruche. Parmi eux, le grand Ludolph allait et venait en se donnant beaucoup de mouvement. Lorsque Gretchen arriva au pied de l’échelle pour monter à bord, il s’avança vers elle en lui offrant la main ; mais la jeune fille franchit les degrés d’un pas rapide.

— Merci, merci, lui dit-elle ; croyez-vous que je ne puisse monter seule les marches d’un escalier ? et n’ai-je pas cette corde pour me tenir ?

— Cette corde s’appelle une tire-veille, répliqua Ludolph, cette autre qui lie le navire au quai s’appelle un grelin ; nous ne sommes plus à terre, mademoiselle Gretchen, et l’on change de langage en changeant d’élément et de manière de vivre. Je connais tout cela, moi, j’ai travaillé sur les ports de mer.

Gretchen s’était rapprochée de son père, qui cherchait par où descendre dans l’entrepont, où se trouvaient les cabines des émigrants.

— Ah ! vous voilà bien embarrassés, dit Ludolph ; ces maisons flottantes ne ressemblent point aux autres : ici les chambres à coucher sont dans la cave… Tenez, prenons par ici ; vous ne connaissez peut-être pas encore tout l’intérieur du navire. Pardon si je passe le premier.

En parlant ainsi, Ludolph descendit le grand escalier de l’arrière, accompagné de Walther et de sa fille. Arrivé sur le carré principal, il poussa une porte entr’ouverte et dit à demi-voix :

— Voici la chambre du capitaine ; regardez, s’il vous plaît, quelle propreté ! Comme c’est bien tenu !

Le capitaine, qui dans ce moment même rangeait ses cartes et ses instruments de navigation, se retourna avec vivacité et ferma sa porte en pestant contre les indiscrets qui aiment à mettre leur nez partout.

— Les marins sont toujours un peu brusques, dit Ludolph sans se déconcerter. Par ici, par ici ! Voyez-vous, mademoiselle Margaret, ce grand cornet de fer-blanc ? C’est un porte-voix : « Eh ! du navire ! eh ! » Voilà comment on crie en pleine mer, quand on veut engager la conversation avec un bâtiment que l’on rencontre. Je connais tout cela, moi, j’ai travaillé sur des ports de mer…

Au bruit qu’il avait fait en criant dans le porte-voix, un officier de la Cérès sortit de sa cabine. — Qu’est-ce que vous faites ici ? dit-il avec colère ; n’êtes-vous pas des passagers de l’entrepont ? Passez à l’avant du navire.

Puis, apercevant le gracieux visage de Gretchen, qui rougissait :

— Pardon, mademoiselle, ajouta le marin ; veuillez prendre mon bras, et je vais vous conduire à votre demeure. Il faut de l’ordre à bord d’un navire, surtout quand il y a beaucoup de passagers.