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je ne partage pas l’avis de M. de Laborde, et plus d’une fois déjà j’ai dit ce que j’en pense. L’auteur croit que l’industrie peut être pour l’art un puissant auxiliaire ; il souhaite que l’art soit vulgarisé par l’industrie, il espère que son vœu s’accomplira dans un avenir prochain. Si mon opinion à cet égard n’était pas formée depuis longtemps, je trouverais dans l’introduction historique de M. de Laborde des argumens pour combattre sa croyance. Ce qu’il souhaite, ce qu’il espère, c’est une alliance dont il n’a pas mesuré les dangers. Je comprends tout autrement l’union de l’art et de l’industrie. Que l’art guide et gouverne l’industrie, qu’il intervienne dans l’orfèvrerie, dans l’ébénisterie, à la bonne heure ; que les sculpteurs fournissent aux industriels des modèles d’un style élevé, que ces modèles soient reproduits fidèlement par des ouvriers habiles et dociles, rien de mieux. Ce n’est pas ainsi, il est vrai, que M. de Laborde entend l’union de l’art et de l’industrie. Il veut que l’industrie vulgarise les œuvres de l’art, toutes sans distinction, pourvu qu’elles soient belles. Il ne tient pas compte de la destination d’une statue, d’un groupe ou d’un bas-relief. Dès qu’il aperçoit dans le marbre ou dans le bronze l’expression d’une ingénieuse idée, un ensemble harmonieux de lignes, une figure gracieuse ou énergique, il veut que l’industrie s’empare de ce qu’il admire et le vulgarise. C’est à mon avis le moyen le plus sûr de desservir l’art, et ce n’est pas le meilleur moyen de servir l’industrie. Le plus grand nombre des belles œuvres que nous devons à l’antiquité, à la renaissance, avaient une destination déterminée. Quant à celles qui n’avaient pas de destination prévue, elles n’étaient pas conçues dans des proportions qu’il fût permis de changer. M. de Laborde n’ignore pas ce que je rappelle, mais il l’oublie. Dominé par une pensée que je crois dangereuse, il méconnaît le sens des faits qu’il a recueillis. Ce qui se passe sous nos yeux, ce que nous avons vu à l’exposition universelle de l’industrie en 1855 montre assez clairement ce que signifie le vœu de M. de Laborde. M. Barbedienne vulgarise les œuvres de l’art antique, les œuvres de la renaissance ; il réussit dans cette tâche plus souvent que ses confrères : croit-on que l’art y ait gagné ? Le Moïse de Saint-Pierre-aux-Liens, les figures allégoriques de la chapelle des Médicis sont-ils mieux compris de la foule depuis qu’ils ont été réduits par le procédé Collas et décorent les appartemens de la bourgeoisie opulente ? La Vénus de Milo, soumise à la même épreuve, excite-t-elle aujourd’hui une admiration plus vive ? Nous possédons à l’École des Beaux-Arts des moulages fidèles du Moïse et de la Nuit. C’est là qu’il faut les étudier, quand on ne peut visiter ni Rome ni Florence. Si l’on veut savoir ce que vaut la Vénus attribuée à Polyclète, qu’on aille au musée du Louvre.