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que deviendrait la célébrité du fabricant ? Et puis, si l’industrie faisait à l’art cette concession imprudente, n’encouragerait-elle pas les prétentions des sculpteurs ? Le prix des beaux modèles, s’élèverait dans une proportion effrayante. L’industrie trouve plus sage de taire le nom de l’auteur pour produire à meilleur marché. Elle ne tient pas à la perfection des modèles, et si elle changeait ses habitudes, elle réduirait ses profits. M. de Laborde ignore-t-il ce qui se passe ? Je ne puis le croire, puisqu’il faisait partie du jury international en 1851, à l’exposition universelle de Londres. Une idée préconçue entraîne souvent loin de la vérité les meilleurs esprits, et l’auteur a subi la loi commune : l’alliance qu’il rêve a jeté la confusion dans ses souvenirs.

Tous les industriels, je le sais, ne tiennent pas à taire le nom des sculpteurs dont ils réclament les conseils, et dont le travail est pour eux une source de fortune ; mais les exceptions sont trop peu nombreuses pour infirmer ce que j’ai dit des relations présentes de l’art et de l’industrie. Admettons d’ailleurs que les orfèvres et les ébénistes se décident à ne plus se donner comme les inventeurs de ce qu’ils font faire, comme les auteurs des œuvres qu’ils achètent : la condition de l’art serait-elle meilleure ? Je suis très loin de le penser. Les artistes, n’étant plus frustrés de la part de renommée qu’ils auront méritée en composant pour l’industrie des modèles élégans, d’un goût sévère, d’un style châtié, se trouveront à leur insu détournés des grands travaux. Encouragés tout à la fois par le gain et par les éloges, ils arriveront à oublier tous leurs rêves de gloire. Le bien-être matériel deviendra leur unique préoccupation. Ce n’est pas là sans doute ce que veut M. Léon de Laborde. Il aime l’art d’un amour sincère, mais il se méprend sur la nature des moyens qui peuvent propager le sentiment du beau et améliorer la condition de ceux qui se donnent pour mission de l’exprimer. Il est à souhaiter sans doute que l’argent fondu, ciselé ou repoussé offre au public des formes élégantes, et pour atteindre ce but, il faut recourir à des artistes habiles, à des artistes qui aient étudié les œuvres de l’antiquité, de la renaissance. Ce sera pour l’industrie un avantage évident ; quel profit l’art pourra-t-il tirer de cette alliance ? M. de Laborde en attend les fruits les plus magnifiques. Que la France consente à réaliser tous les plans qu’il propose, une ère nouvelle va s’ouvrir. Il y a dans sa parole un tel accent de sincérité, que plus d’un lecteur se laissera séduire. Quant à ceux qui ont eu l’occasion d’étudier la question et qui en ont profité, je crois pouvoir assurer qu’ils ne partageront pas les espérances de l’auteur. S’agit-il de réformer le goût public ? Ce n’est pas en multipliant par des procédés économiques les plus belles œuvres de la sculpture qu’on accomplira ce dessein, assurément