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très louable. Pour acquérir de la clairvoyance, de la sagacité, pour estimer les marbres grecs ou italiens, pour les aimer avec discernement, l’important n’est pas d’en voir un grand nombre, mais de voir et de revoir ceux qui ont un sens déterminé, qui marquent dans l’histoire de l’imagination un moment décisif. Or, si l’alliance proposée par M. de Laborde venait à se réaliser, non-seulement le goût public ne serait pas réformé, non-seulement le sentiment du beau ne se propagerait pas, mais la foule, en voyant des copies, toujours plus ou moins infidèles, des œuvres qui l’auraient émue, qui l’auraient instruite, contemplées dans leur pureté, ne recueillerait que des notions confuses ; elle saurait mal, elle saurait à demi ce qu’elle ignore aujourd’hui. Qu’aurait-elle gagné ? Elle ne serait pas assez éclairée pour se prononcer sur le mérite d’une statue ou d’un groupe d’après des raisons tirées des lois de l’art. Au lieu de consulter les impressions qu’elle aurait reçues, elle voudrait établir des comparaisons. Elle perdrait l’habitude de dire ce qu’elle sent pour dire ce qu’elle croirait savoir. Que M. de Laborde interroge les sculpteurs et les peintres, qu’il leur demande quels sont les juges qu’ils redoutent le plus : ils désigneront ceux qui possèdent des notions incomplètes, qui ont ébauché l’éducation de leur intelligence. Je crois donc que le goût public ne gagnerait rien à l’union des arts et de l’industrie telle que la rêve M. de Laborde, et les motifs de ma croyance sont faciles à comprendre.

S’agit-il de placer la sculpture dans une condition meilleure ? Les moyens imaginés par l’auteur me semblent plutôt dangereux qu’utiles. La sculpture associée à l’industrie n’aura bientôt plus d’autre souci que de plaire au plus grand nombre. Elle dédaignera, comme une récompense illusoire, l’approbation des connaisseurs ; elle voudra faire des figures qui puissent se vendre par milliers. Le choix des lignes, la perfection de la forme seront oubliés. La grande affaire sera de travailler pour la galvanoplastie. Ce n’est pas là ce que veut l’auteur ; mais c’est là ce qui arriverait, si tous ses conseils étaient suivis. Nous sommes déjà sur une pente malheureuse ; l’art indépendant, l’art préoccupé de la beauté, étranger à tout autre souci, n’est pas facile à rencontrer, et l’on parle de vulgariser les œuvres du ciseau pour lui venir en aide ! Quelle singulière illusion ! Les figurines couvrent les cheminées et les guéridons ; les étagères sont envahies par des groupes qu’on peut tenir dans la main. Jusqu’à présent, Dieu merci, tous ces joujoux n’ont pas eu plus d’importance que les poupées de Nuremberg. Que l’industrie s’empare de nos musées, qu’elle fonde en zinc la Vénus de Milo, la Vénus d’Arles, et qu’avec le secours de la pile de Bunsen elle les recouvre d’une couche de cuivre, les heureux possesseurs de ces nouvelles merveilles