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l’honneur de Jean Coster dans le bois de la ville (Haarlemmerhout). La Hollande a encore élevé, en 1856 à l’inventeur présumé de la typographie, une nouvelle statue, qui a été l’occasion de fêtes enthousiastes. Les Hollandais réclament, en fait de typographie, une autre gloire que nul ne leur conteste : on leur doit ces belles éditions qui font la joie des connaisseurs. C’est dans les Pays-Bas qu’il faudrait écrire l’histoire des Elzevirs. Le Museum Weslreenianum[1], à La Haye, ouvert une fois par mois au public, selon les intentions du légataires contient plusieurs de ces petits chefs-d’œuvre qu’on dirait imprimés avec des lettres de diamant. L’imprimerie néerlandaise, a aussi rendu à la littérature et à la philosophie un autre ordre de services en accueillant, au XVIIe et au XVIIIe siècle, la pensée française, alors proscrite en France et dans le monde entier. Presque tous les grands écrivains du siècle de Louis XIV, puis les encyclopédistes ont trouvé dans les presses d’Amsterdam le moyen de répandre leur influence en Europe. Ces éditions d’ouvrages qui ne pouvaient voir le jour dans le pays où ils avaient été conçus ont fait la réputation de plusieurs maisons de librairie. La révolution de 1789, en introduisant en France la liberté de la presse, soutira bientôt toute la sève qui alimentait cette branche de commerce dans les Pays-Bas. Aujourd’hui ces librairies qui ont donné l’hospitalité à la pensée libre, et qui ont fait la fortune de certains noms tout en s’enrichissant elles-mêmes, ne sont plus qu’un souvenir ; mais ce souvenir mérite qu’on s’y arrête.

Si l’on voulait raconter l’histoire économique de la Hollande[2], l’aspect du pays et des populations attentivement interrogé pourrait aussi servir à compléter en plus d’un point les documens écrits. À observer de près le Hollandais, on reconnaît tout de suite qu’un des principaux traits de son génie industriel est de tirer les infiniment grands des infiniment petits. Nulle part ailleurs, je crois, on ne trouve tant de mains occupées à recueillir et à transformer des objets doués par la nature d’une mince utilité. J’ai vu à Zwol des

  1. Le créateur de ce musée était un excentrique : personne de son vivant, pas même ses amis, pas même ses collègues, les directeurs de la bibliothèque royale de La Haye, a’avait été admis à visiter les richesses qu’il accumulait secrètement et sans cesse. Un jour cependant il s’était décidé à introduire les directeurs de la bibliothèque dans cet Eldorado de l’art typographique, à la condition qu’ils seraient vêtus de robes de chambre sans poches, qu’il les conduirait et les ramènerait lui-même ; mais au moment de l’exécution de ce singulier programme, le cœur lui manqua, et il ne fut plus question d’aucune visite au Musée Westréenien jusqu’à la mort du fondateur.
  2. Pour s’initier aux ressources économiques du pays, on peut consulter l’ouvrage du Frison Simon Styl, celui de M. E. Lusac, la Richesse de la Hollande, publiés dans le siècle précédent ; puis les travaux du comte de Hogendorp, dont une nouvelle édition annotée vient d’être donnée par M. Thorbecke ; l’Histoire du commerce de la Hollande, de M. van Rooy ; des traités séparés de MM. Koenen, van Heemskerk, Sloet, Moltzer, etc.