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Salem[1], écouté par le reste de la famille dans un religieux silence, je promenais mes regards autour de moi. Je considérais avec bonheur tous ces objets qui sont à peu près les mêmes dans toute maison israélite aisée, objets que j’avais vus si souvent dans mon enfance, et qui avaient gardé leur primitive simplicité : la lampe de rigueur suspendue au plafond ; une table toute servie, mais recouverte d’une perse rouge dont la protubérance trahissait, près du gros fauteuil en cuir, la présence des deux pains blancs commandés pour le vendredi soir. Dans un coin, une fontaine avec bassin en cuivre rouge reposait sur un pied en bois de couleur verte, dont la partie inférieure, formant armoire, était exclusivement destinée à serrer le rituel et quelques livres talmudiques. Sur un côté du mur, le côté du levant, on remarquait une grande feuille de papier blanc encadrée avec un soin particulier, et où se lisait le mot hébreu : Mizrack, c’est-à-dire orient. Le mizrach indique aux étrangers, — c’est une prévenance comme une autre, — le point cardinal où il est ordonné de se tourner pour prier l’Éternel. Deux gravures représentaient, l’une Moïse, au front surmonté de deux rayons lumineux, tenant dans sa droite les tables de la loi, dans sa gauche, le bâton classique ; l’autre, le grand-prêtre Aaron, la poitrine et les épaules couvertes du coschen et de l’ephod[2], la tête ceinte du turban pontifical. Au-dessus d’une petite glace, une énorme tête de cerf portait alternativement le chapeau ou le bonnet de coton du maître, selon qu’il se trouvait au logis ou dehors.

Après le repas, composé des plats succulens de la cuisine alsacienne, précédé et suivi de prières et de psaumes que les juifs chantent avec des inflexions de voix traditionnelles, le père Salomon m’apprit que son neveu, le fils de son frère Jekel, devait se marier le mercredi suivant avec la fille du parnass [3] de Wintzenheim, village situé à une lieue de Colmar. « Mon frère Jekel, que vous verrez demain, vous invitera à la noce. Pour aujourd’hui, nous passerons, en votre honneur, la soirée ici. Êtes-vous toujours, comme autrefois, amateur des récits au coin du feu ? Nous avons ici le voisin Samuel, qui vient souvent passer le vendredi soir avec nous. En voilà un qui sait conter ! Demandez à ma femme et à mes enfans. Je ne sais pas ce qu’il n’a pas lu, ni surtout ce qu’il n’a pas retenu ! Histoires ordinaires, histoires extraordinaires, légendes, aventures, sorcelleries, on n’a qu’à lui secouer la manche pour en faire tomber tout cela. Seulement, mon cher orech (hôte), permettez-moi une observation.

  1. Un des cantiques qu’où chante an sortir de la synagogue, de retour dans le foyer domestique.
  2. Exode, c. XXVIII, v. 4.
  3. Chef civil d’une communauté juive.