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la réalité. Le ciel est plus rapproché de l’œil que les montagnes, tandis que les montagnes devraient être plus près de nous que le ciel. C’est une chose excellente que de bien voir, un talent précieux que de bien rendre ce qu’on a vu ; mais en peinture il ne faut jamais séparer la vraisemblance de la vérité, et M. Français a méconnu l’autorité de cette maxime dans sa Journée d’hiver. Le Souvenir de la vallée de Montmorency est un tableau charmant. Les arbres sont d’une forme élégante, et je comprends que ce paysage-portrait excite l’admiration. On aimerait à s’asseoir sous les ombrages de cet heureux séjour. Le dirai-je pourtant ? Parmi les ouvrages envoyés par M. Français, celui qui possède à mes yeux la plus grande valeur, le mérite le plus solide, c’est le Ruisseau de Neuf-Pré, aux environs de Plombières. Au premier aspect, la toile manque de profondeur ; mais regardez bien, regardez pendant quelques minutes, la toile se creuse et l’espace s’agrandit : pierres, écume, troncs et feuillage, tout s’ordonne, et le regard contemple avec bonheur ce coin de bois, où le murmure de l’eau accompagne doucement les soupirs de la brise. Comme exécution, cette petite toile mérite des éloges sans réserve. Toutes les parties en sont traitées avec une adresse merveilleuse. M. Français connaît maintenant tous les secrets techniques de son métier. S’il possède la faculté d’inventer, s’il se décide à la développer par des études nouvelles et d’un ordre plus élevé, la popularité ne lui manquera pas. Il compte dès à présent parmi les imitateurs les plus habiles ; quant au don poétique, il ne l’a pas encore révélé.

Je voudrais pouvoir dire que M. Théodore Rousseau agrandit sa manière, car il y a dans ses ouvrages un accent de vérité qui m’inspire une vive sympathie ; mais je suis obligé d’avouer qu’il est cette année ce qu’il était il y a deux ans. Il copie très habilement ce qu’il voit, malheureusement il se borne à copier. Il réussit : ses tableaux n’attendent pas les acheteurs ; chacun le sait, et comme on estime trop souvent le mérite d’après le succès, pour bien des gens M. Rousseau représente la perfection. Le bon sens veut qu’on sépare le succès du mérite : le mérite se discute ; quant au succès, il suffit de le constater. M. Rousseau avait débuté par des ébauches parfois confuses, parfois éclatantes, qui n’étaient pas dépourvues de caractère poétique ; seulement, en raison même de leur confusion, ces ébauches se prêtaient aux interprétations les plus diverses. Chacun y voyait ce qu’il voulait y voir, et la contradiction était difficile. À parler franchement, ce n’était pas de la peinture sérieuse. Maintenant la confusion a disparu. M. Rousseau écrit très nettement la forme des choses, mais il n’écrit que la forme des choses. Quant au sentiment que laissaient deviner ses premières ébauches, il ne paraît plus y attacher