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grande importance. Il a quitté la rêverie pour l’imitation, et comme sur le marché l’imitation a plus de valeur que la rêverie, je crains fort qu’il ne continue pendant longtemps à faire ce qu’il fait aujourd’hui. Avec le talent qu’il possède maintenant et son ambition d’autrefois, il y aurait de quoi composer un peintre d’un ordre élevé.

M. Desjobert se préoccupe de l’imitation comme M. Français, comme M. Rousseau. Jusqu’à présent, il n’a pas essayé d’inventer. Il tient à prouver qu’il sait faire un morceau, et il le prouve. Je dois lui dire que son Entrée de Forêt, dont les diverses parties sont traitées avec habileté, gagnerait beaucoup, si la toile était réduite de moitié. Les proportions qu’il a choisies ne conviennent pas au sujet, si toutefois une entrée de forêt est vraiment un sujet. Les arbres sont élégans, les terrains solides et d’une bonne couleur ; l’air circule dans le feuillage, l’espace s’étend devant le regard. Ces mérites sans doute ne sont pas à dédaigner ; mais une entrée de forêt serait mieux placée dans un cadre plus étroit. Dans ce tableau, rien ne s’adresse à la pensée, tout s’adresse aux yeux, et je ne comprends pas l’utilité d’un si vaste champ pour une telle donnée. Une petite toile du même auteur, le Pont rompu, se recommande par la précision des détails. C’est un ouvrage qui révèle des habitudes studieuses, et dont les proportions sont d’accord avec le sujet. M. Desjobert paraît se contenter difficilement : c’est le plus sûr moyen de bien faire ; mais quand il sera parvenu aux dernières limites de l’imitation, il ne sera encore que sur le seuil du paysage. Qu’il ne l’oublie pas, s’il veut que ses ouvrages intéressent les esprits élevés.

S’il fallait juger l’état présent de la peinture française d’après les ouvrages exposés cette année, on serait obligé de formuler des conclusions bien sévères, car si le talent ne manque pas, si les genres secondaires sont traités avec habileté, les compositions de grand style font absolument défaut. Pour demeurer dans l’équité, il faut se rappeler que MM. Ingres, Decamps et Delacroix n’ont rien envoyé. Leur absence a trop d’importance pour qu’on n’en tienne pas compte quand il s’agit d’exprimer une opinion sur l’état présent de notre école. Restreignant la portée de nos paroles dans la mesure que le bon sens commande, nous sommes obligé d’affirmer que le nombre des œuvres élevées diminue de jour en jour. En parcourant le salon de cette année, on aperçoit des morceaux bien faits, des scènes rendues avec adresse, quelquefois avec élégance ; mais chercher l’expression d’une idée grande serait peine perdue. Non-seulement la pensée ne tient pas le premier rang, mais elle est à peu près oubliée. La peinture, pour ceux qui tiennent le pinceau