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de Louis XIV, l’humiliation dorée de la noblesse et sa décadence politique étant ressenties par quelques-uns de ses membres, et des murmures de liberté aristocratique circulant dans les alentours du duc de Bourgogne, le comte de Boulainvilliers conçut l’histoire dans ce nouveau sentiment ; il réhabilita le système féodal, affirma durement le droit de la conquête franque, établit deux nations, l’une souveraine, l’autre sujette, et, dans sa haine contre les intendans, gâta une cause et des vues qui, réduites à de justes limites, avaient de la grandeur et de la vérité. Le fond de ces idées, inconnues avant lui et couronnées par lui d’une conclusion absurde, est resté dans l’histoire de France, et on en discute encore certaines parties. L’abbé Dubos traita ces mêmes matières pour l’opinion monarchique, et avec un plus grand savoir ; mais un instinct vague de révolution, la pensée de changer la forme du gouvernement, courait en sens divers parmi les historiens, les philosophes, les magistrats : l’histoire en fut encore plus ébranlée. Montesquieu et Mably cherchèrent partout, et jusque dans les forêts de l’ancienne Germanie, la base de la nouvelle constitution qu’ils souhaitaient. Les historiens de notre temps, émus du même besoin, continuateurs de la même lutte, n’ont fait que suivre et élargir la route : c’est en partant de Mably que M. Guizot a répandu sur nos vieux âges des lumières bien supérieures, tandis qu’Augustin Thierry, ardent alors et exalté par des passions qu’il avouait, reprenait la thèse de Boulainvilliers pour la retourner en sens contraire, acceptant la conquête franque et les deux nations à la condition de justifier par là même l’insurrection des vaincus, conquérans à leur tour.

Il est clair que, dans toute cette série, les travaux sur le passé s’inspiraient des besoins ou des passions actuels. Depuis Boulainvilliers surtout, ce n’était pas moins que la question même de la révolution française qu’on remuait d’avance ; cet écrivain, d’une pénétration remarquable dans sa fougue, l’avait définie un siècle avant qu’elle n’éclatât, et depuis la révolution jusqu’à nos jours, la même cause est plaidée ou combattue par tous les historiens. Qui niera cependant que ces études contradictoires, en un certain sens intéressées, n’aient répandu la vie, la clarté et une vérité plus grande dans un récit jusqu’alors si faux par l’absence des choses essentielles et par l’encombrement des inutilités ? Qui niera que l’accroissement de notre nation ne soit infiniment mieux connu, quoique certains côtés, que les passions du jour auraient mal reçus, soient trop restés dans l’ombre, ou aient été montrés sous un aspect trop peu favorable ? Ici nous touchons à l’inconvénient qui résulte de ces préoccupations contemporaines de l’historien. On a trop pris parti entre les morts ; on a trop combattu, comme les héros d’Ossian, dans les nuages de la