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le genou sous un maître éloigné ? Est-il vrai que notre littérature, témoignage de nos sentimens héréditaires, ne soit que critique, moqueuse, niveleuse, et par là hostile à toute constitution libre, qui veut au moins l’aristocratie des esprits, tandis qu’au contraire l’Anglais, doué d’une âme plus forte, d’un esprit tendu vers un but sérieux, et animé par une littérature patriotique, a pu et dû de tout temps développer sa personnalité, se respecter soi-même sans abaisser les autres, concilier la liberté et le pouvoir, et, fort de son histoire, honnête, fier, soumis à la loi et à la raison, marcher seul, d’un pas sûr, par la liberté et le travail, à la domination du monde ?

Dévorons en silence ce qu’il y a d’humiliant dans un pareil doute ; mais en adoucissant les termes, il faudra toujours convenir qu’il y a ici en effet une grave question historique, — que si elle n’est pas tout à fait nouvelle, elle n’a pourtant pas encore été assez explorée, puisque des hommes instruits la discutent, — que c’est un nouvel exemple de la manière dont se forme l’histoire, puisque cette question est posée sous le coup d’événemens et d’une situation dont elle demande la cause, et qu’enfin si ce qui gronde dans les cœurs se résolvait quelque part en travaux sérieux, il en sortirait des lumières abondantes sur les opinions, les caractères, les tentatives en tout sens des hommes d’autrefois. Il suffit de parcourir les Documens inédits de l’Histoire de France, et d’autres publications de ces derniers temps pour se convaincre que nombre de choses sont à refaire ou à compléter. Ce qu’on entend tous les jours sur ce sujet prouve déjà surabondamment que la question, pour quiconque ne se laisse pas convaincre au premier mot, est à peine effleurée. Est-il certain, par exemple, que le moyen âge anglais ait été si grand, et le nôtre si petit ? La monarchie anglaise, dans cette période, a-t-elle été un gouvernement libre ? Selon Hume, elle fut arbitraire et absolue. Ce témoignage d’un historien célèbre est contesté aujourd’hui, il est vrai ; il permet du moins un grand doute. Personne ne nie d’ailleurs que sous les Tudors, pendant plus d’un siècle, la liberté anglaise n’ait été complètement anéantie, et que toutes ces fameuses garanties ne soient restées gisantes sur le dernier champ de bataille des deux roses. Où était donc cette force d’une constitution séculaire, soutenue par tant de vieilles coutumes, de corporations, de privilèges, et par l’énergie d’un peuple trempé pour se gouverner lui-même ? Depuis Henri VII, la liberté individuelle fut nulle ; la chambre étoilée dictait par intimidation les jugemens du jury, ce palladium britannique ; les emprunts étaient extorqués par la force, les benevolences ou dons gratuits arrachés par la terreur. Les rois et les reines enlevèrent à la nation sa religion même, et lui en donnèrent une autre, qu’ils reprirent de nouveau. Quelle idée d’ailleurs