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ce qu’on voulut, pour tout reprendre bientôt en semant l’argent et la discorde parmi ses adversaires. Thomas Basin n’a point de peine à se justifier de cette faute : « Je sais, dit-il, que bien des gens ne mesurent les choses humaines que sur l’événement. Et parce que les efforts de ces princes et les intentions dont ils se vantaient n’ont produit aucun fruit de réforme, et ont au contraire aggravé les maux du pauvre peuple, ils condamnent toute l’entreprise dès son origine. Mais la nécessité de ces réformes n’était-elle pas évidente ? Et ceux qui, ne voyant aucun autre chemin pour y parvenir, ont pris parti avec une bonne et droite intention, ne sont-ils pas absous ? Les vices et la mauvaise foi de quelques-uns condamnent-ils les autres ? »

Il était en mission à Bruxelles lorsqu’il apprit la catastrophe de son parti, le temporel de son église mis sous le séquestre, son palais pillé, sa famille persécutée. Il vit les promoteurs de la ligue du bien public se livrer au vainqueur moyennant des places, des dignités, des pensions ; quant à lui, malgré l’amnistie générale et même les sollicitations particulières du roi, qui craignait de laisser un tel homme chez le duc de Bourgogne, il resta fidèle à sa conscience, qui lui disait qu’il n’avait point failli. À partir de ce moment, sa vie ne fut plus qu’une histoire de persécutions opiniâtres. Calomnié par des ennemis avides qui voulaient le forcer à se démettre de son évêché, accusé de conspirations imaginaires, privé de ses revenus, apprenant que ses frères étaient emprisonnés, les biens de son église dilapidés, il se laissa enfin extorquer sa démission, et passa ses vieux jours à Trêves, à Louvain, à Bréda, à Utrecht, vivant avec les lettrés, les professeurs, les jurisconsultes, et rédigeant ses ouvrages.

Par sa popularité, par la vénération constante dont il fut l’objet, par la haine, la crainte et les précautions du roi, il est démontré que Basin représentait une opinion nombreuse et indignée, répandue surtout dans les provinces. Cette opinion défendait les libertés de ces provinces, repoussait le système naissant des finances royales, et s’opposait aux progrès de l’organisation monarchique de l’armée : tels étaient ses trois premiers principes. Elle soutenait donc des institutions destinées à périr ; elle voulait en étouffer d’autres qui naissaient viables, et qui devaient un jour se coordonner dans le monde moderne comme de puissans instrumens de force et de richesse. Toutefois ce n’est point par ces résultats lointains et impossibles à prévoir qu’on peut bien juger la valeur des opinions humaines ; la justice veut qu’on les détache de leurs objets variables et caducs, et qu’on en découvre sous ces applications passagères l’inspiration morale et éternelle. Parce que, après plusieurs siècles et de longues études, nous avons découvert dans la politique et l’administration