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pensée (et qu’il nous soit permis de le dire, nous avons été des premiers à la soumettre à l’attention du pays[1], il y a dix-huit ans), il faut ne rien exagérer, et surtout tenir compte d’une distinction essentielle beaucoup trop méconnue. Un homme dont la parole fait autorité en cette matière, M. Boussingault, a dit : « Il faut distinguer le produit du fond et le profit de l’industrie du cultivateur. Si le cultivateur empruntait pour améliorer ses cultures, il pourrait payer un taux aussi élevé que s’il s’agissait d’une autre industrie. » Et il démontre que si le capital engagé dans l’achat de la terre ne rapporte que 3 pour 100, la solidité du placement expliquant la modicité du revenu, le capital d’exploitation produit 8 et 10 pour 100[2]. Or pour le petit propriétaire, qui cultive lui-même, le crédit foncier se confond avec le crédit agricole ; il est en état de servir un intérêt beaucoup plus élevé que ne pourrait le faire supposer le taux de la rente foncière, car c’est son travail qui fait fructifier les sommes mises à sa disposition.

Ici encore, tout en nous hâtant de reconnaître que d’heureuses réformes peuvent être accomplies, nous devons donc repousser les exagérations. La dette hypothécaire et plus encore la dette chirographaire, dans leur forme habituelle, sont une plaie pour l’agriculture ; mais ce n’est pas la petite propriété qui a le moins de ressources pour supporter ce fardeau.

On ajoute enfin : Le paysan n’emprunte pas pour mieux cultiver ; il emprunte pour acheter encore de la terre, pour s’arrondir. C’est souvent vrai, et cette tendance peut avoir certains inconvéniens. Faisons-le remarquer néanmoins : le reproche est singulier dans la bouche de ceux qui s’effraient de la division du sol, car ces acquisitions successives constituent un des moyens efficaces d’agglomérer les parcelles. Si le capital employé y passe, il en est un autre qui naît, pour le remplacer, du labeur ardent du propriétaire, qui fertilise le sol en le remuant[3].

  1. Mémoire sur la Mobilisation du Crédit foncier, présenté à l’Académie des Sciences morales et politiques, le 13 juillet 1839.
  2. Enquête du conseil d’état sur le crédit foncier, séance du 28 mai 1850.
  3. Dans l’enquête du conseil d’état sur le crédit foncier (1850), M. Mauny de Mornay a très ingénieusement expliqué l’avantage que rencontrent les propriétaires à s’arrondir par l’acquisition de parcelles contiguës. Les frais généraux restant les mêmes, le produit brut s’accroît proportionnellement, sans nécessiter d’autre dépense que quelques heures de plus de travail. Or les petits propriétaires surtout profitent des momens de liberté que leur laisse l’exercice d’autres industries pour les employer à la culture de leurs terres, qui leur assurent toujours de l’ouvrage, et qui deviennent une sorte de caisse d’épargne d’un travail qui risquerait sans cela de s’évaporer faute de moyen de condensation. Cette épargne permet à beaucoup de cultivateurs d’éteindre par portions le prix de leur acquisition, faite même à un prix élevé. Ils paient ce prix par annuités, bien que leurs obligations ne soient pas souscrites sous cette forme ; ils stipulent ordinairement, dans beaucoup de localités, le droit de se libérer par portions, et d’anticiper les termes du paiement. Ainsi l’acquittement des dettes, voilà le placement ordinaire des épargnes du cultivateur dans le midi. On appelle cela payer pension. Quand des cultivateurs ne doivent plus rien, ils empruntent, achètent une propriété, et paient pension au prêteur ou au vendeur.