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airs hautains, qui siéraient mal au philosophe ; comme il est censé parler au nom de Dieu, il lui est permis de prendre, en exposant sa pensée, un ton de supériorité que ne pourrait se donner, sans blesser la modestie, celui qui parle en son propre nom. Cela est très choquant dans la polémique, où, par la loi même du genre, les deux adversaires sont égaux, et en effet rien de plus fatigant que la polémique catholique, l’apologiste se donnant une foule d’avantages que le critique désintéressé doit se refuser ; mais dans les ouvrages oratoires cette façon de prendre les choses de haut est d’un assez grand effet. C’est par là que les mandemens des évêques se font souvent lire avec agrément, et que le latin des bulles papales, sans signifier grand’chose, a un certain charme de plénitude et de grave harmonie.

Comparé à l’ensemble de résultats nouveaux qui, depuis quarante ans, ont été découverts ou mis en circulation dans le domaine de l’histoire, de la critique et de la philosophie, le fonds d’idées de Lamennais paraît incomplet et arriéré. Lamennais n’entra pas dans le grand mouvement de rénovation scientifique qui s’empara des esprits au sortir du désert intellectuel de l’empire. Ce mouvement n’excita que ses colères : il était déjà trop fait pour se modifier et apprendre quelque chose. Un esprit si absolu d’ailleurs ne pouvait être curieux : quand on croit posséder toute vérité, soit par une révélation du dehors, soit par l’inspiration de son propre génie, il est tout simple qu’on dédaigne la voie pénible et humble de la recherche, et qu’on regarde l’investigation des détails comme une simple fantaisie d’amateur. Je ne ferais point cette critique, si à chaque page de l’Essai sur l’indifférence il n’était question de matières qui sont du domaine de l’érudition, et sur lesquelles l’auteur, faute de science, s’exprime toujours de la manière la plus inexacte. Au lieu de se mettre au courant des résultats acquis comme probables ou comme certains dans le domaine des sciences historiques et philologiques ; au lieu d’apprendre l’allemand pour profiter des vastes travaux que l’Allemagne a entassés sur toutes les branches de l’histoire, travaux dont plus tard il a reconnu l’importance ; au lieu de se mettre lui-même au nombre des chercheurs, il aimait mieux s’en tenir à des livres de dixième main, dont il interprétait et combinait à sa guise les données. Je sais bien que les gens du monde se soucient peu de la qualité de l’érudition qu’on leur sert : l’agrément ou la beauté de la forme seule les touche ; mais, malgré mon respect pour l’opinion des gens du monde, il m’est impossible, sur ce point, d’être de leur avis. Quand on parle des choses, il faut les savoir aussi bien qu’il est possible. Voltaire écrivait à Cideville qu’il se proposait bien de ne pas lire l’Histoire Littéraire de la France, que compilaient patiemment,