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volume par volume, les bénédictins de la congrégation de Saint-Maur. Quel dommage ! et que d’erreurs sur le moyen âge, ses mœurs et ses institutions ne se fût-il pas épargnées, s’il eût étudié avec plus de soin le savant ouvrage dont il parlait sur un ton si cavalier ! Bossuet de même écrivit toute sa vie sur la Bible et n’eut que dans ses dernières années l’idée d’apprendre l’hébreu ; notez que préalablement il s’était permis sans scrupule de faire persécuter Richard Simon, qui le savait. La plus grande partie des matières dont s’occupent ceux qu’on appelle écrivains est du domaine de l’érudition, et pourtant l’écrivain regarde comme au-dessous de lui de paraître se confondre en quelque chose avec l’érudit. On croit, par cet air dégagé, écarter à mille lieues de soi le reproche de pédantisme, si fort redouté parmi nous ; mais il est permis aussi à l’érudit de sourire, quand on vient lui présenter des exercices de style composés sur des matériaux de mauvais aloi, lorsque d’excellentes sources de renseignemens existent. On pouvait se dispenser de traiter de pareils sujets : du moment qu’on les traite, il est indispensable de le faire avec l’appareil de connaissances qu’ils exigent, et dont aucune éloquence ne saurait tenir lieu.

Le reproche que j’adresse ici à M. de Lamennais ne lui est pas personnel : il s’applique à toute l’école, si distinguée à beaucoup d’égards, qui, dans la première moitié de notre siècle, a cherché à relever le catholicisme du discrédit où il était tombé. Cette école, à laquelle on ne peut contester une véritable valeur en philosophie, et surtout en esthétique, en a très-peu sous le rapport de l’érudition. Cela est tout simple : la partie savante de l’ancien clergé qui avait survécu à la révolution, ou bien s’était totalement sécularisée, ou bien était tenue par ses tendances jansénistes et gallicanes en dehors de la nouvelle école. M. Daunou et dom Brial se fussent donné la main pour condamner des idées aussi contraires à leurs habitudes d’esprit. Or en érudition la tradition est nécessaire, et les plus louables efforts n’y sauraient suppléer. M. de Chateaubriand, qui avait une intuition si vive des temps et des races, fut arrêté sur le seuil de la grande histoire par l’insuffisance de son instruction. M. de Bonald faisait de grandes considérations sur la succession des systèmes philosophiques, et n’avait guère lu, hélas ! en fait d’histoire de la philosophie, que M. de Gérando. M. de Maistre, qui avait l’esprit éveillé sur tant de choses, en resta toujours à la philologie des jésuites, dont les Soirées de Saint-Pétersbourg présentent de si amusans spécimens. M. de Lamennais s’en tint également aux vieux argumens qui, depuis plus d’un siècle, n’ont pas cessé de défrayer les apologistes ; il ne soupçonna pas un moment que la science eût depuis cinquante ans entièrement changé d’aspect. Même sorti de