Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 10.djvu/810

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

en marbre ou en pierre. Ce qui plaît sur le papier n’est pas toujours sûr de plaire quand la forme tangible aura remplacé le trait. Les mécomptes se nombrent par centaines. L’architecte s’étonne, parfois même s’indigne et gourmande. Avec un peu plus de modestie et de bon sens, il comprendrait la nécessité de son désappointement. Il y a pour chacun des arts du dessin des lois spéciales qui ne se laissent pas deviner. Pour avoir combiné pendant vingt ans les trois ordres grecs, on n’est pas obligé de savoir quels sujets conviennent au ciseau, quels sujets conviennent au pinceau. Les figures indiquées dans un lavis produisent souvent un très mauvais effet quand elles sont peintes ou modelées. Pour obtenir l’unité qu’on souhaite, le plus sage parti serait de revenir aux coutumes de la Grèce, et d’attribuer à l’architecture, à la sculpture, la même importance, la même autorité.

Mais ici une objection se présente, objection qu’on ne peut éluder. Pour attribuer à l’architecture, à la sculpture, la même importance, la même autorité, il faudrait choisir un seul architecte, un seul sculpteur. Sans doute : quel serait le danger d’une telle résolution ? La Grèce s’en est bien trouvée, pourquoi la France s’en trouverait-elle mal ? Les pensionnaires de l’école de Rome, à qui l’état donne cinq ans de libres études, se croient appelés par un droit évident à l’exécution de tous les travaux commandés par l’état. C’est là une prétention qui ne résiste pas à l’examen. Les travaux appartiennent aux plus habiles. Tant pis pour les pensionnaires de Rome, s’ils ne sont pas en mesure d’établir leur droit ! Est-ce la gloire qu’ils rêvent ? Qu’ils la gagnent à la sueur de leur front. Est-ce du travail qu’ils demandent ? Ils n’en manqueront pas, s’ils consentent à traduire la pensée d’un homme supérieur. Ils s’imaginent que l’état, en les envoyant à Rome, en les affranchissant pendant cinq ans de tous les soucis de la vie matérielle, s’engage à ne jamais laisser leur ciseau inactif. Si l’on ne se décide pas à les détromper, on n’arrivera jamais à l’unité dans la sculpture monumentale. Que le statuaire soit l’égal de l’architecte, qu’ils délibèrent ensemble sur la composition, sur la décoration du monument, et quand ils auront arrêté leurs projets en commun, qu’ils choisissent librement ceux qui doivent accomplir leur volonté : à cette condition nous aurons des œuvres qui plairont à la foule et contenteront les connaisseurs. Le sculpteur qui aura conçu la décoration ne pourra se passer d’auxiliaires, et comprendra que son devoir est de nommer ceux qu’il appelle. La question se réduit à des termes très simples et très précis. Les monumens se font-ils pour occuper les sculpteurs, ou bien les sculpteurs sont-ils destinés à concourir, chacun selon ses forces, à la décoration des monumens ? J’abandonne au lecteur le choix de la solution.