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très risquée et qui ne serait pas admise, en notre temps de pruderie, dans la plus libre de nos guinguettes ; mais le texte de Pepys est tout autre. Lisez plutôt : « M. Pickering m’assure que l’histoire du fœtus trouvé par terre au dernier bal de la cour est parfaitement vraie, qu’on l’a porté chez le roi, dans le cabinet duquel il est resté environ huit jours, et qui l’avait disséqué. L’aventure a fourni mainte et mainte plaisanterie à sa majesté, entre autres celle de dire que l’enfant avait juste un mois et trois heures. Elle a dit aussi que de toutes les parties intéressées c’était elle, quoi qu’on en pût penser, qui perdait le plus, attendu que l’enfant étant un garçon, c’est un sujet de moins dans le royaume. »

Plus tard, l’audace croissant avec la licence, on prendra d’étranges libertés avec « le vieux Rowley[1]. » La Castlemaine le menacera, dans un paroxysme jaloux, de briser contre la muraille la tête des enfans qu’elle lui a donnés. Buckingham, en tout-puissant favori, s’excusera, sur un rendez-vous avec des filles, de rester auprès du monarque, et, au sortir du palais, courra comploter avec les chefs du parti puritain une intrigue destinée à battre en brèche le crédit du duc d’York. Lord Buckhurst, depuis comte de Dorset, compromis dans une affaire de vol, compliquée d’assassinat, n’en viendra pas moins faire sa cour et n’en sera pas moins bien accueilli. Aussi, quelques temps après, une belle nuit, on arrêtera dans les rues de Londres Sedley et Buckhurst, coupables de ce qu’on appelle de nos jours en police correctionnelle un « outrage public aux bonnes mœurs. » Soyons clairs, si nous pouvons. Ces deux ivrognes titrés couraient les rues après minuit dans le costume de nos premiers parens… avant le fruit défendu. Un autre de ces jeunes effrontés, renchérissant sur ceux-ci, se met à la fenêtre, en plein jour, dans un négligé tout aussi succinct, et harangue la multitude scandalisée. Enfin Pepys nous raconte encore ceci : « Je suis allé à Fox-Hall et y ai fait rencontre de Harry Killegrevv, jeune drôle nouvellement arrivé de France, mais qui est encore en disgrâce à la cour. Il était avec Newport et quelques autres, aussi mauvais sujets qu’on en puisse trouver par la ville. Malheur à la femme qui passait à portée de leurs mains libertines ! De là nous sommes allés souper à l’ombre d’une tonnelle. En vérité, leurs folies dévergondées m’ont soulevé le cœur. Par les propos qu’ils ont tenus, j’ai pu comprendre enfin ce qu’était au juste cette société dont on a tant parlé récemment, et qui est désignée sous le nom de Balleurs (Ballers). Harry nous a conté comment elle s’était formée de quelques jeunes fous, au nombre desquels il figurait, et de lady Bennett (comtesse d’Arlington),

  1. Surnom donné à Charles II, et qui lui venait, — familiarité caractéristique, — d’un vieux bouc élevé dans les jardins de White-Hall.