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avec ses dames de compagnie et ses femmes. On y dansait à l’état de pure nature, et on s’y livrait à tous les débordemens imaginables. Grand Dieu ! en quelle mauvaise compagnie j’étais ce soir, spirituelle cependant, et qui vaut bien la peine qu’un homme s’y risque au moins une fois, pour la connaître un peu et savoir comment vivent ces gens-là[1] ! »

Toute cette corruption dérivait en définitive du monarque, qui la tolérait et l’encourageait. Nous pourrions, les documens ne faisant pas défaut, nous arroger le droit de peindre nous-même cette bizarre figure ; mais, en laissant parler autrui, nous échappons à tout soupçon de parti-pris hostile. Un contemporain, courtisan protégé par l’anonyme, et selon toute apparence rien moins que John Sheffield, comte de Mulgrave et duc de Buckinghamshire, portera lui-même le témoignage pour lequel nous nous récusons équitablement. Il nous suffira de citer quelques détails du portrait qu’il trace :


«… Charles II aimait, avant tout, une vie oisive et facile. Les guerres inutiles où on l’a vu s’engager semblent au premier coup d’œil contredire cette opinion, mais au fond elles la confirment, car elles ne furent entreprises que pour satisfaire des personnes dont le mécontentement devait gêner un homme de son caractère bien autrement que le bruit lointain du canon, auquel il prêtait à peine une oreille distraite. De plus, le seul genre d’occupation qui convînt à son esprit et lui fût de quelque agrément était la construction des navires et les affaires maritimes en général[2]. Une guerre sur mer l’amusait donc plutôt qu’elle ne dérangeait son égalité d’âme.

« Sans doute il eût pris en personne très volontiers le commandement des flottes magnifiques qu’il mettait tant de soins à faire équiper, sans l’extrême ardeur avec laquelle son frère sollicitait pour lui-même toute occasion de succès militaire, ardeur décemment dissimulée sous le vain prétexte de préserver la personne royale. Maintenant on peut reprocher au roi, dont les talens naturels pour la marine pouvaient si bien profiter au pays, de n’avoir pas autant songé à gêner les progrès de la France, comme puissance navale, qu’à développer les nôtres ; mais la jalousie était le moindre de ses défauts. Ce mot de jalousie nous conduit à l’examiner sous d’autres rapports que ceux de la politique.

« Il apportait dans ses plaisirs plus d’abandon, de laisser-aller et de faiblesse que d’entraînement fougueux et passionné. En cela, semblable à nos femmes sans mœurs, il se livrait plus aisément aux débauches entreprises pour la satisfaction d’autrui qu’à la recherche de ce qui lui aurait plu le

  1. Pepys’s Memoirs, En citant ce passage, nous sommes forcé d’invoquer, pour couvrir la nôtre, la responsabilité de la Revue dÉdimbourg. Voir l’année 1826, vol. XLIII, p. 35.
  2. Ce goût et cette aptitude dont on a fait honneur à Charles II et au duc d’York, Pepys, secrétaire de l’amirauté, le leur conteste en quelque mesure ; on voit en effet dans son Journal que la plupart des projets soumis au conseil comme venant du roi étaient l’ouvrage de cet obscur, mais utile employé.