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ne devait pas lui être désagréable. Aussi, après les premiers saluts échangés et les complimens habituels sur la beauté des environs de la petite ville, je déclinai ma profession de voyageur enthousiaste des arts, et j’arrivai à toucher un mot de la galerie de M. T… Le vieillard, en entendant ce nom, me regarda d’un certain œil malin, afin de se rendre compte de mes impressions intérieures ; mais j’eus la force de ne rien laisser paraître, et me traînai dans les lieux communs en parlant seulement de la curiosité que j’emportais de la contemplation des portraits de certains maîtres.

— Monsieur est artiste ? me dit le vieillard en voyant que je m’appesantissais sur les procédés des peintres et que ma conversation roulait plutôt sur la manutention matérielle de la peinture que sur la question psychologique.

— J’aime les tableaux, dis-je hypocritement, et il m’a été donné de vivre avec des peintres qui m’ont initié à leur langage.

— Monsieur T… vous a-t-il donné son catalogue ? reprit le vieillard.

— Quel catalogue ? dis-je en flairant une curiosité. Il n’y a pas besoin, ce me semble, de catalogue dans une galerie qui ne renferme qu’un seul et même portrait.

— Ah ! dit le vieillard, M. T… ne vous a pas fait hommage de son catalogue… Il le cache alors, mais je l’ai gardé précieusement, moi qui vous parle.

J’aurais volontiers tenté une escalade avec effraction dans la maison du vieillard pour connaître ce catalogue mystérieux, mais je continuai froidement : — Pourquoi M. T… cacherait-il ce catalogue ?

— Par un motif plus grave que vous ne le supposez.

— Ah !

— La famille de M. T…, continua le vieillard, qui ne demandait qu’à parler, n’est pas absolument enthousiaste de cette collection, qui ne semble pas avoir de fin… M. T… est maladif, d’une frêle santé, et on sait dans la ville qu’il a jeté des sommes immenses dans les ateliers de Paris pour se faire peindre… La famille craint avec juste raison que cette fantaisie ne prenne des proportions plus énormes encore. Que pourrait-on faire de tous ces portraits, si M. T… venait à mourir ? Ses parens en garderont un ou deux, je l’accorde ; mais on ne retrouvera pas aux enchères publiques la centième partie des sommes dépensées par M. T… Moi aussi, j’aime à collectionner ; j’y vais doucement… Les belles choses me tentent, mais je laisserai des pâtes-tendres que je paie cher, et qui sont malgré tout le meilleur placement de mon argent.

J’eus l’effronterie de témoigner au vieillard une vive admiration pour les porcelaines, quoique je n’y entende goutte, et il me fallut