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au plus haut degré l’esprit politique, et ses hommes d’état y apparaissent comme doués à la fois d’une profonde intelligence de l’intérêt public et d’une admirable fermeté dans l’exécution. Sa politique a atteint en cette circonstance une élévation et une générosité dont on trouverait rarement l’exemple chez quelque peuple que ce soit, et qu’il ne serait peut-être pas superflu de rappeler à quelques-uns de ses hommes du jour. L’Angleterre, dont la conduite dans le passé a été bien souvent égoïste, apparaît cette fois pleine du sentiment des besoins généraux de la civilisation : elle a su accomplir sur elle-même, avec un courage digne des plus grands éloges, une expérience laborieuse dont le succès, annoncé dans les livres, pouvait être démenti par la pratique.

Il y a néanmoins des ombres au tableau. Je ne parle pas des imperfections qui restent dans les dispositions du tarif ; un avenir prochain en effacera sans doute la majeure partie. J’ai en vue le rôle que s’est permis d’y prendre l’esprit de parti contre sir Robert Peel, et plus encore l’injustice dont, à l’heure qu’il est, sont victimes M. Cobden et ses principaux amis. Robert Peel fut abreuvé de dégoûts pendant la lutte même. Des hommes qui lui devaient le respect déversèrent sur lui l’injure à pleines mains ; mais du moins Peel est mort emportant dans la tombe l’assurance qu’il était l’objet de la sympathique vénération de ses compatriotes. Quant à M. Cobden, à qui Robert Peel en plein parlement rendit ce glorieux hommage, que plus que personne il pouvait revendiquer l’honneur du grand changement qui s’accomplissait dans le système commercial du pays, il est frappé en ce moment de la défaveur populaire. Ces vaillans athlètes, à qui le pauvre a tant d’obligations, et à qui le riche doit la pacification de la société, ont été délaissés dans les dernières élections par un public ingrat. Leur crime, c’est d’avoir aimé la paix avec plus d’ardeur et de l’avoir déclaré avec plus de franchise que personne, comme si la paix n’était pas le souverain bien pour une société civilisée ! Ils se consolent dans leur retraite en songeant qu’ils n’ont pas été étrangers aux innovations par lesquelles cette paix de 1856, qu’on leur reproche d’avoir trop voulue, se recommandera plus tard à la reconnaissance du monde civilisé, et nous sommes dans un temps où ces écarts de l’opinion publique ne sont pas de longue durée. Le jour ne peut être éloigné où M. Cobden et ses amis, exclus comme lui du parlement, obtiendront de leurs compatriotes une réparation plus éclatante que l’ostracisme dont ils ont été l’objet. Déjà, au moment où je parle, un des plus illustres de cette pléiade d’orateurs, M. Bright, vient d’être rappelé à la chambre des communes par l’importante cité de Birmingham.


MICHEL CHEVALIER.