Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 12.djvu/345

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de la prospérité du royaume de Siam, qui possédait alors sept éléphans blancs ! En 1555, il attaqua de nouveau la ville avec une armée encore plus nombreuse, il s’en rendit maître, et emmena en captivité toute la population. Faut-il ajouter foi à ces chiffres prodigieux, à ces immenses mouvemens d’armées, à ces luttes gigantesques ? Il est permis d’hésiter, et pourtant, quand on visite les ruines d’Ayuthia, on est tenté de ne point trouver trop invraisemblables ces étranges récits. Les vastes palais qui jonchent le sol de leurs débris, les dômes élevés des pagodes sous lesquelles se dressent encore dans leur immobilité séculaire les colossales statues de Bouddha ; plus loin, une pyramide de 400 pieds de haut, dont la flèche d’or va percer la nue, tous ces monumens, muets témoins du passé, attestent que le royaume de Siam a eu ses jours de grandeur et de richesse presque inouïe. Quel contraste présente l’époque actuelle ! Les innombrables armées d’autrefois sont réduites à quelques milliers d’hommes ; les escadrons d’éléphans qui repoussaient les charges des éléphans du Pégu sont licenciés. La dynastie régnante, qui occupe le trône depuis la fin du dernier siècle (1782), et qui en est à son troisième souverain, n’a eu à soutenir que de petites guerres contre les Birmans et les Cochinchinois, et semble avoir oublié les traditions guerrières des anciennes dynasties.

Les Siamois professent le bouddhisme. Mgr Pallegoix a exposé longuement la doctrine et raconté d’après les livres sacrés la vie de Bouddha. Missionnaire chrétien, il a dû se livrer à une étude approfondie de la religion qu’il venait combattre, et il faut lui savoir gré de la modération équitable qui inspire son langage quand il parle du bouddhisme, signalant les erreurs d’une croyance qui aboutit fatalement au complet anéantissement de l’âme humaine fatiguée de ses multiples transmigrations, mais aussi mettant en relief les qualités morales de la doctrine, l’influence que les préceptes de Bouddha ont exercée sur les sociétés orientales, et l’importance incontestable d’une religion qui compte sur le globe près de 200 millions de sectateurs. C’est du reste un trait particulier que l’on a remarqué fréquemment dans le caractère de ces courageux apôtres, qui vont planter sur les terres lointaines, au milieu de la superstition triomphante et en face des temples consacrés à Bouddha ou à Confucius, le drapeau du christianisme. Ils se sentent généreusement portés à l’indulgence pour l’ennemi contre lequel ils ont à lutter. Ils laissent à d’autres le mépris stérile et les déclamations insultantes. Peu suspects de transiger avec l’erreur, ils fouillent patiemment les origines des superstitions pour en dégager le principe philosophique ou moral qui s’y trouve plus ou moins profondément déposé. Comment expliquer autrement l’empire que depuis des siècles ces superstitions ont conservé sur les consciences