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dont ils pourront jouir lorsqu’ils rentreront dans la vie civile. Les talapoins sont d’ailleurs exempts d’impôts, de corvées, de tout service public. Leur costume jaune, honoré et salué par tous, par le roi de Siam lui-même, les élève au-dessus des lois, et leur assigne dans la société un rang exceptionnel.

La piété des Siamois n’est point exempte de superstition. On entretient à la cour des astrologues indiens qui prédisent la pluie et le beau temps, la paix et la guerre, et qui déterminent les jours heureux et les jours néfastes. De même le peuple consulte les devins et les diseurs de bonne aventure ; il porte des amulettes, il croit à la vertu des nombres impairs, il dresse des autels aux génies protecteurs de la famille, il craint les sorciers et s’adresse aux magiciens, etc. Bouddha a défendu sévèrement toute pratique superstitieuse ; c’est dans les livres des brahmes que les Siamois ont puisé la plupart de ces croyances ridicules. On se figure généralement, d’après les récits des voyageurs, que les Siamois, de même que les Cochinchinois et les Birmans, adorent l’éléphant blanc comme un dieu, et que ce culte se rattache à la religion bouddhique. Mgr Pallegoix explique que les Siamois ne reconnaissent aucun dieu, pas même Bouddha ; mais comme, d’après leur système de métempsycose, les Bouddhas, dans leurs générations successives, seront nécessairement singes blancs, moineaux blancs, éléphans blancs, ils ont de grands égards pour tous les animaux albinos, et en particulier pour l’éléphant blanc ; ils croient qu’il est animé par quelque héros ou grand roi qui deviendra un jour Bouddha, et qu’il porte bonheur au pays qui le possède. Cette croyance ou plutôt cette superstition est très ancienne. Les éléphans blancs sont logés dans un palais ; ils ont rang de mandarins de première classe ; ils sont servis par des officiers ; leur mort est pour la cour et pour toute la population un grand sujet de deuil. Les envoyés européens qui ont récemment visité la capitale de Siam décrivent, avec les mêmes détails, les honneurs extraordinaires décernés aux éléphans blancs. Cela peut être pittoresque, mais on ne saurait lire de tels récits sans éprouver un sentiment de dégoût. Ces peuples orientaux, que nous voyons si platement obséquieux devant un éléphant, sont policés, intelligens, lettrés même ; rien chez eux n’excuse cette incroyable idolâtrie.

Toutes les religions étrangères sont tolérées à Siam. À côté des pagodes consacrées à Bouddha, on voit s’élever les mosquées des musulmans et les églises des chrétiens. Les lettrés acceptent volontiers la controverse : ils accordent que le christianisme renferme de grandes vérités et des enseignemens sublimes ; mais, suivant eux, les préceptes de Bouddha sont également dignes d’admiration, et pourquoi dès-lors changer de croyance ? Chaque pays a sa religion,