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et rien n’empêche que toutes les religions ne soient bonnes. Il est de même des fruits ; différens sous chaque latitude, ils peuvent avoir une égale saveur. De tels raisonnemens expliquent la parfaite tolérance des Siamois et la répugnance qu’ils éprouvent à se convertir au christianisme. Il a bientôt deux siècles que le premier missionnaire catholique, l’évêque de Berythe, débarqua à Bangkok (1662) et commença l’œuvre de la propagande. Mgr Pallegoix raconte longuement l’histoire de la mission ; il rappelle les efforts tentés, surtout pendant le XVIIIe siècle, pour étendre dans les divers états dépendans du royaume de Siam l’empire de la foi romaine ; il retrace les périodes de persécution que la mission eut à traverser, non point par suite de sa doctrine, mais à raison de son origine européenne ; il rend hommage à la protection qu’il a obtenue personnellement depuis son arrivée à Siam (1830), et reconnaît les facilités nouvelles qu’il a obtenues du souverain actuel pour l’établissement. d’églises, de séminaires et d’écoles catholiques. Cette histoire, fort intéressante d’ailleurs et très édifiante, de la mission de Siam devait nécessairement occuper une large place dans l’ouvrage de Mgr Pallegoix, et on ne la lira point sans émotion, car les âmes les plus indifférentes et les plus rebellés à l’action de la grâce y trouveront au moins l’attrait qui s’attache invinciblement au spectacle d’une lutte courageuse entreprise contre les idées de tout un peuple par une poignée d’hommes succombant sans éclat et relevés sans interruption au poste de la propagande : lutte ingrate pourtant et bien faiblement récompensée ici-bas, s’il faut en juger par les résultats. On ne comptait encore en 1853, dans tout le royaume de Siam, que 7,050 catholiques, 4,050 à Bangkok, résidence de l’évêque, et 3,000 dans les provinces. Ils habitent en général des villages ou camps séparés sur des terrains qui leur ont été donnés par le roi, et où ils peuvent se livrer en toute liberté à l’exercice de leur culte. La plupart des convertis ont été recrutés dans la population chinoise et annamite ; le nombre des prosélytes siamois est presque imperceptible. Quelques milliers de fidèles à peine, voilà donc le produit de l’œuvre à laquelle se consacrent un vicaire apostolique, neuf missionnaires européens et quatre prêtres indigènes, rivalisant de piété et d’habileté pour faire lever des semences jetées depuis deux siècles dans un sol stérile, possédant un séminaire, quatre couvens de femmes et plusieurs écoles, se multipliant par des prodiges d’organisation qui eussent assuré la prospérité de toute entreprise temporelle, et par-dessus tout, dans un pays où la faveur d’en haut est si puissante, jouissant de la protection du souverain !

Mgr Pallegoix cite avec reconnaissance ce trait du roi de Siam, qui, peu de temps avant son avènement, remit entre les mains d’un mandarin chrétien, général d’artillerie, 3,000 Annamites, prisonniers