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saint hindou : le premier lui semblera sans doute plus humain, mais le dernier reporte l’imagination vers ces descriptions des poèmes indiens qui nous représentent les fakirs prenant racine dans le sol ou se transformant en buissons incultes où les oiseaux viennent faire leurs nids. Lutfullah, dans une de ses pérégrinations, va loger dans une mosquée bâtie par un saint homme, le hadji Zacharias.

« Je fus traité par les serviteurs du hadji avec respect et hospitalité. Je désirais avoir le plaisir de connaître le fondateur de la mosquée, dont j’avais entendu beaucoup louer le caractère bienveillant lorsque j’étais à Bombay, et après informations j’appris par son domestique, qui me servait, que le hadji s’était souvent assis à côté de moi et m’avait souvent parlé après la prière. Je me rappelais bien en effet un homme qui m’avait parlé, mais comme j’étais loin de le prendre pour un grand personnage, je l’avais toujours tenu à l’écart et rebuté à cause de ses manières et de sa conversation vulgaires et de son costume grossier. Je regrettai beaucoup alors d’avoir été si rude envers un homme qui m’avait traité avec tant d’hospitalité. Comme il était de mon devoir de lui offrir des excuses, j’allai à son cabinet, où je le trouvai accroupi sur un vieux matelas étendu sur le parquet et les reins soutenus par un vieux coussin, tandis que ses suivans et ses domestiques étaient tous bien vêtus et éclipsaient extérieurement leur maître. Il y avait aussi là des gentilshommes anglais, un capitaine et son second officier, qui se tenaient chapeau en main, attendant ses ordres. Il me reçut avec beaucoup de civilité, et je m’assis près de lui. Je lui demandai pardon de l’avoir rebuté dans mes premières visites, l’assurant que mon incivilité n’était due qu’à l’ignorance. Il me répondit brusquement qu’étant formé d’humble poussière, son devoir était d’être humble. »

Ce personnage est fort honorable sans doute, mais n’est pas très différent d’un honnête philanthrope. Son humilité a une certaine bizarrerie, mais ne dépasse pas les bornes du sens commun. Ce saint est mêlé au monde, il est riche, puissant, il remplit des fonctions publiques : tout cela est assez effacé. Voyons un saint de la religion brahmanique, celui-là au moins a du caractère et de la physionomie.

« Quand on erre dans ces solitudes, il arrive souvent de rencontrer quelque moine hindou que le zèle de son austérité a poussé à tout abandonner et à dévouer sa vie au culte de la Divinité, loin du tumulte des mondains. Il vit des racines qui croissent sur place, fait du feu en frottant deux morceaux de bois l’un contre l’autre pour se chauffer pendant les nuits froides, et se tient le corps soigneusement couvert de cendres, dont la poussière lui fait comme une mince enveloppe qui, fermant les pores de la peau, le dispense de vêtemens artificiels. Après dix ou douze années de cette existence, il devient comme les bêtes sauvages et s’enfuit à la vue de l’homme. Dans cette partie du monde, on rencontre des gens qui ont la singulière idée que ces religieux sont des cannibales, et qu’ils mangent de la chair d’homme,