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soudainement en un sentiment d’hostilité, et que la France se trouve séparée des récens alliés qui ont agi avec elle à Constantinople. La France peut avoir une opinion un peu plus prononcée sans que cela implique une radicale incompatibilité de vues. Sous ce rapport, la question arrivera donc intacte au congrès, et d’ici à ce moment les divans des deux provinces danubiennes poursuivent leurs travaux. Celui de Iassy vient d’émettre des vœux en faveur de l’égalité des citoyens devant la loi, de la liberté des cultes, de l’abolition des privilèges, et tous ces vœux, qui en vérité ne paraissent pas aussi révolutionnaires qu’on feint de le croire, deviendront les élémens naturels des délibérations des puissances. Jusqu’au moment où s’ouvriront les délibérations du congrès sur toutes ces questions et sur celle de l’union elle-même, les évolutions de la Russie et de la Prusse sont des hypothèses et non des réalités.

Soit, dira-t-on, la Prusse et la Russie n’ont point fait volte-face dans l’affaire des principautés, et la situation reste la même ; mais c’est de Constantinople que peuvent venir des complications nouvelles. Rechid-Pacha vient de remonter au pouvoir, d’où il était assez tristement descendu il y a quelques mois, et voici que l’ambassadeur de France a refusé d’entrer en communication avec le nouveau grand-vizir. Une rupture n’est-elle point imminente ? La cour du sultan, on en conviendra, est un terrain difficile, où les ministères se succèdent rapidement, et où l’on n’est jamais bien sur de voir la résolution de la veille durer jusqu’au lendemain. M. Thouvenel, qui sait habilement mesurer ses initiatives sans se départir des fermes directions qui lui sont données par le ministre des affaires étrangères de France, M. Thouvenel, disons-nous, ne s’est point cru obligé de renouer des rapports particuliers avec Rechid-Pacha, et sa conduite paraît avoir été entièrement approuvée. Évidemment il vaudrait mieux qu’il y eût plus de cordialité ou plus de politesse, si l’on veut, dans les relations personnelles entre le chef du cabinet ottoman et le représentant de la France ; mais si le sultan, dans sa souveraine indépendance, a jugé utile de rappeler Rechid-Pacha, la France, après tout, use également de son droit en s’abstenant vis-à-vis d’un homme d’état dont elle a éprouvé l’inconsistance et les faiblesses, et en qui elle n’a pas toujours trouvé une parfaite sécurité de rapports. M. Thouvenel n’avait point contribué à la chute de Rechid-Pacha, il n’était point tenu de saluer son avènement ; il lui suffisait désormais de rester dans les strictes limites de sa mission diplomatique, en n’ayant affaire qu’au ministre des relations extérieures de l’empire ottoman : c’est ce qui est arrivé. La situation est difficile peut-être : cela ne veut point dire cependant qu’il y ait une rupture en germe à Constantinople ; cela signifie tout au plus que la France ne met point sa dignité à la loterie des vicissitudes ministérielles de la Turquie, et qu’elle peut attendre en voyant passer les hommes tant que sa juste influence et les intérêts supérieurs de sa politique ne sont point compromis. Cette froideur marquée et publique, qui a éclaté entre le représentant de la France et le nouveau grand-vizir, ne peut donc, quoi qu’on en pense, conduire à des complications plus sérieuses ; elle révèle seulement une fois de plus la nécessité de mettre enfin un peu d’ordre dans toutes ces difficultés qui se rattachent aux événemens dont l’Orient a été le théâtre à une époque encore récente. Qu’on songe bien que la guerre est finie depuis près de deux