Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 12.djvu/473

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ans, et que quelques-unes des conditions les plus essentielles de la paix sont toujours en suspens. Sans doute, on n’en finira pas de si tôt avec cette question d’Orient, le problème, l’énigme du monde contemporain ; mais ne peut-on arriver à créer une situation un peu moins confuse, un état où se trouvent réalisés quelques-uns des bienfaits promis et où l’on ne soit plus, à chaque instant, à se demander s’il n’est point survenu à Constantinople quelque lutte d’influences, quelque crise nouvelle qui va subitement changer tous les rapports, remuer toute la politique, et rejeter encore une fois les peuples en face de l’inconnu ? La dernière guerre n’aurait été qu’un inutile et imprévoyant sacrifice, si en fin de compte elle ne devait avoir pour résultat de donner à l’Orient un peu plus de civilisation et à l’Occident un peu plus de sécurité.

Certes, au milieu des affaires du monde, les affaires de l’Inde ont une place à part, et l’intérêt qui s’y attache naît de la grandeur mystérieuse des événemens autant que du caractère tragique de cette lutte, où l’on voit partout l’héroïsme de quelques hommes suppléer au nombre. Pendant quelques mois, cette insurrection indienne a été un cruel trouble-fête pour nos voisins ; elle est venue les irriter dans leur orgueil, les inquiéter dans le sentiment de leur domination, et les émouvoir aussi jusqu’au fond de l’âme, en leur offrant le spectacle de ces odieux supplices infligés à des Anglais et à des Anglaises par des Asiatiques barbares. Le moment ne vient-il pas aujourd’hui où l’Angleterre est sur le point de voir sa fortune se relever d’un désastre passager, et toute cette insurrection céder devant son ascendant ? Les Anglais ont été surpris, quoique dès longtemps prévenus, cela n’est point douteux ; ils ont été les victimes de l’imperturbable assurance qu’ils portent dans toutes leurs affaires. Une fois revenus de cette première surprise cependant, ils se sont mis à l’œuvre, et chaque jour ils regagnent péniblement, héroïquement, le terrain perdu. Delhi est tombée, comme on sait, devant les armes britanniques, et si la victoire a été chèrement payée, elle a été plus complète encore qu’on ne l’avait dit au premier instant. De cette armée insurgée campée à peu de distance de la ville, il ne reste plus rien, ou il n’en est plus question. Des partis de cavalerie anglaise se sont jetés dans la campagne et ont sabré les multitudes, qui se sont dispersées devant eux. Ils ont fait mieux : ils ont pris le roi de Delhi, un vieillard de quatre-vingt-dix ans. Les fils du roi ont été pris également, et ils ont été immédiatement passés par les armes. Quant au roi lui-même, les Anglais l’ont gardé ; ils lui ont accordé la vie pour pouvoir sans doute montrer aux indigènes que ce vieux drapeau de l’insurrection est bien en leurs mains. Un des chefs de l’armée anglaise, le général Nicholson, a péri des suites de blessures reçues dans les affaires de Delhi, et avec lui plus de mille hommes ont été mis hors de combat. Les Européens de l’armée anglaise n’étaient qu’au nombre de cinq mille.

Il y avait un autre point de l’Inde vers lequel se tournaient tous les regards : c’était la résidence de Lucknow, où une petite et brave garnison se soutenait depuis plusieurs mois, presque abandonnée, tout au moins fort compromise. Le général Havelock avait plusieurs fois essayé de se frayer un chemin pour lui porter secours, il n’avait pu réussir. Il avait battu les insurgés en toutes les rencontres ; malgré tout, à chaque tentative, il était obligé