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de la France qu’ils avaient reconnus. Celui qui était monté sur le radeau de Tilsitt, celui que la fille des césars (sic) avait reçu dans son lit, n’était pas devenu en un jour pour les deux empereurs un usurpateur et un parvenu. Aucun d’eux, ni même aucun de leurs alliés n’attachait au retour des Bourbons l’idée de condamner tout le passé, d’abolir les faits accomplis et de mulcter la nation. Le souvenir de la lutte malheureuse des princes français contre la révolution inspirait même à l’Europe couronnée des inquiétudes sur leur aptitude à la terminer. Leur nom faisait douter de leur fortune. Et quand même on taxerait d’affectation ou de calcul l’encouragement donné alors du haut de certains trônes aux idées de liberté, on ne peut prétendre que les signataires étrangers des traités de 1814 aient entendu rayer du même trait de plume la révolution française de l’histoire de France.

Je parle de l’opinion des rois de l’Europe, parce que ce sont eux et quelques conseillers qui décidèrent l’événement. La nation, dépouillée par la guerre de son indépendance, n’eut alors l’initiative de rien. Elle ne put même coopérer au règlement de sa destinée. Non que je vienne, après tant d’années, redire ces mots passionnés qui étaient à la restauration l’honneur d’avoir été acceptée par la France. Surprise par les événemens, mise en présence d’une nécessité qu’elle avait peu prévue, la France assista comme à un spectacle à tout ce qu’on faisait d’elle ; mais il faudrait n’avoir pas eu les yeux ouverts alors pour ignorer que la paix apparut comme un bien suprême, et que, précédée d’une renommée de modération et de bonté, la race de saint Louis fut accueillie comme la paix. La défiance même, qui ne tarda pas à se produire, se mêla à peine, dans les premiers momens, aux sentimens de soulagement et d’espérance qu’éveillaient les promesses du nouveau règne, tant était loin de la pensée publique toute idée de la possibilité d’un retour aux choses détruites, tant le peuple, se sentant en possession de la nouvelle existence qu’un quart de siècle lui avait faite, imaginait peu qu’elle pût être menacée, et qu’en matière de gouvernement il y eût des chances pour la rétroactivité ! Il semblait au contraire que la dernière expérience avait définitivement tourné contre toute espèce de pouvoir absolu. Puisque le génie même n’avait pu conjurer les maux de la dictature, puisqu’un grand homme s’était perdu par la toute-puissance, comment supposer qu’on pût concevoir le gouvernement autrement que limité ? Comment ne pas se sentir ramené à ces sages précautions légales qui mettent peuples et rois à l’abri des excès ? Sans beaucoup la connaître encore, la France appelait la liberté ; elle y voyait une garantie de repos. C’est alors que les générations nouvelles comprirent mieux l’entreprise de leurs pères, et pénétrèrent peu à peu dans cette intelligence du gouvernement représentatif,