Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 12.djvu/52

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

modernes, il a dû braver les fureurs et les imprécations de la synagogue. M. Auerbach a voulu peindre Spinoza en face du judaïsme ; c’est pour cela qu’il le compare à Luther. « Luther, dit-il, affranchit la divine parole, car les livres saints, jusque-là scellés du triple sceau et enfermés dans le tabernacle, ont pu parler directement au cœur des hommes ; Spinoza, poursuivant la même œuvre, a dégagé la pensée divine des chaînes qu’une théologie immobile faisait peser sur elle le jour où il a proclamé que notre âme est une Bible vivante, c’est-à-dire une inspiration, une révélation continue, toujours plus claire et plus lumineuse de siècle en siècle. Luther, élevé au sein du catholicisme scolastique, a voulu ramener les chrétiens à la simplicité de l’Évangile ; Spinoza, nourri de la théologie rabbinique, a voulu arracher l’âme au joug du Talmud, au joug même de la Bible, et la soumettre aux lois de l’éternelle raison. Luther a retrouvé Jésus-Christ, caché au genre humain par les subtilités de la scolastique et le paganisme de la renaissance italienne ; Spinoza a défendu les droits de l’âme contre la tyrannie des rabbins. » Rabbinisme, catholicisme, ce sont là pour M. Auerbach des formes diverses d’une même inspiration ; le Talmud est à la Bible ce que la scolastique est à l’Évangile, et Spinoza, comme le moine de Wittenberg, est un libérateur de la pensée religieuse.

Si ce rapprochement n’est pas complètement exact, et pour ma part je n’ai pas besoin de dire Quelles objections il soulève, il a du moins le mérite de nous révéler toute une partie fort importante de la vie de Spinoza. Nous regardons l’auteur des Lettres à Oldenbourg comme un des maîtres de la pensée pure, quelques erreurs qu’il ait pu commettre en métaphysique et en morale ; c’est aussi un grand hérésiarque israélite, un rabbin révolté contre les rabbins. Toute cette période, particulièrement juive, dans la vie du célèbre penseur a été étudiée par M. Auerbach avec la précision de l’érudit et le sentiment de l’artiste.

J’ai dit que cette comparaison de Spinoza et de Luther soulevait de graves objections. Sans parler des objections philosophiques et religieuses, on demandera peut-être, au simple point de vue du roman, si la situation de Spinoza en face des rabbins de la Jacobshaus peut être aussi émouvante que les combats du moine de Wittenberg. L’auteur a beau dire : « Il est plus douloureux de combattre seul que de se sentir soutenu par tout un monde ; » est-il possible de s’intéresser bien vivement à cette scène de 1657 ? L’amant d’Olympia courait-il de grands dangers en attirant sur lui les foudres de la synagogue ? Toutes ces vociférations ne sont-elles pas plus ridicules que terribles ? Qu’importe enfin à un pareil homme la colère de l’ange Meschartel ? Oui, ce sont là des fureurs puériles, et le contraste