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de ces puérilités solennelles avec la majesté du penseur est un trait qui n’a pas échappé à l’écrivain. Spinoza pourtant à souffert : c’était une âme fendre, timide, et il n’est arrivé que par degrés à cette impassibilité souveraine qui nous frappe- dans ses œuvres. Les rabbins qui vomissaient contre lui tant de paroles enragées avaient compris qu’il fallait une sanction à leur sentence ; ils n’eurent pas honte de s’adresser à des ennemis. Spinoza fut dénoncé comme un blasphémateur aux magistrats d’Amsterdam, et l’église réformée cita devant son tribunal le condamné du sanhédrin. Ces tracasseries n’étaient rien auprès des déchiremens de la famille : voir des frères, des sœurs, se détourner de lui avec effroi, quelle douleur pour cette âme simple ! Un supplice plus grand encore lui était réservé : au moment où il avait tant besoin d’affections pour adoucir l’isolement intellectuel que lui infligeait son génie, ses amis eux-mêmes, les compagnons de sa pensée, l’abandonnent et le trahissent. Il aimait dans Olympia van den Ende un esprit hardi, une âme ferme, unis à toutes les grâces de la femme ; cette fermeté d’Olympia ne résiste pas une heure aux exhortations railleuses de son père. Certes van den Ende a de vives sympathies pour Baruch, il est fier d’un tel élève, il admire la grandeur et l’indépendance de sa pensée ; mais van den Ende n’est qu’un épicurien, incapable d’un sacrifice. Malgré ses fanfaronnades d’esprit-fort, il eût voulu que Spinoza se fît catholique. Que dira-t-on de sa fille, si elle épouse un juif, un juif chassé par ses frères, un juif dont la communauté juive ne veut plus ? Baruch avait tenu à honneur de ne pas fuir par une abjuration hypocrite le jugement du sanhédrin : cette loyauté hardie effraie van den Ende, et après quelques larmes trop facilement séchées, Olympia se rend à ses conseils. Il y a là précisément pour elle un autre mari tout prêt, Kerkering, le protestant Kerkering, converti au catholicisme par des raisons de diplomatie amoureuse. Kerkering épouse Olympia, et le pauvre Baruch reste seul sur la terre. Le meilleur, le plus fidèle de ses amis, Oldenbourg, venait d’être appelé en Angleterre par ses fonctions diplomatiques. Spinoza demeure encore quelque temps à Amsterdam, puis il se retire à Rhynsburg, à Voorburg, à La Haye, cherchant toujours la solitude, et préparant en silence les grands travaux de métaphysique et de morale qui sont la gloire de son nom.

Ces choses sont finement indiquées. Je regrette que M. Auerbach n’ait pas donné un développement plus complet à cette partie de son œuvre. Le biographe s’est trop défié du romancier ; préoccupé de l’exactitude, il a oublié que l’invention devait donner de la vie au tableau. En général, c’est l’émotion qui manque à cette ingénieuse étude. Je sais bien qu’il est difficile d’émouvoir le lecteur