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qui est déjà un enseignement. Ajoutons qu’il a des correspondans au nord et au sud de l’Allemagne, et que leurs lettres naïves complètent le tableau du compère. Il lui en vient du fond de l’Amérique. Nous pensions n’avoir sous les yeux que la petite commune où ce Franklin populaire distribue ses leçons, l’Allemagne entière est devant nous, même cette lointaine Allemagne qui s’agite au-delà de l’Océan. En un mot, la variété des formes répond à la richesse de la pensée. L’Ecrin du Compère, une fois"débarrassé des longueurs et de quelques puérilités, gardera une belle place dans la littérature politique et morale de l’Allemagne.

J’ai dit que l’auteur de l’Écrin du Compère avait fait subir à son enseignement moral les transformations les plus heureuses ; j’ai dit qu’il s’était affranchi de certaines erreurs de sa jeunesse, et que sa prédication était non-seulement généreuse, mais sensée. Ce progrès n’était pas le seul que l’ingénieux conteur était tenu de réaliser ; il lui reste encore un progrès littéraire à accomplir, s’il veut exercer toute l’influence à laquelle il prétend. M. Auerbach ne se préoccupe pas assez de l’invention : en renouvelant son esprit, il n’a pas cherché à renouveler sa manière. Son dernier roman, Barfüszele (la Fille aux pieds nus), pourrait tenir sa place dans les Histoires de Village. Or les histoires de village se sont déjà multipliées sous sa plume un peu plus qu’il ne faudrait, et, malgré le légitime succès qu’ont obtenu les premiers volumes de ces scènes rustiques, l’auteur fera bien de s’en tenir là. Je ne méconnais pas les parties gracieuses de ce livre : le premier chapitre surtout est plein de poésie et d’émotion ; le tableau de ces deux petits orphelins qui ne veulent pas croire que leurs parens viennent de mourir, ou plutôt qui ne savent pas ce que c’est que la mort, la peinture de la maison déserte, du jardin abandonné, et de ces pauvres enfans qui s’y attachent, qui ne peuvent s’en éloigner, persuadés que le père et la mère vont revenir, ce sont là de ces scènes poétiquement touchantes où triomphe M. Auerbach. Un de ces enfans est l’héroïne du livre. Amrei (elle est si misérable, la pauvre enfant, que tout le village l’a surnommée la Fille aux pieds nus), Amrei et son frère Dami sont élevés aux frais de la commune, et les humiliations ne leur manquent pas. Comment Amrei grandit en sagesse et en grâce, dirige son frère, trouve dans la misère même des inspirations charmantes, devient l’appui des pauvres, et finit par épouser le fils d’un fermier du voisinage, tel est le sujet du récit. Encore une fois, certains détails sont excellens, le style est d’un artiste, mais l’ensemble manque de nouveauté et d’invention. Quand M. Berthold Auerbach ne répète pas, en les affaiblissant, ses premières histoires de village, il se laisse prendre, involontairement sans doute, aux réminiscences de ses lectures. Il y a dans Barfüszele une scène de