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bal rustique qui a le tort de rappeler la Petite Fadette, et le mariage d’Amrei avec Johannes fait penser au dernier chant d’Hermann et Dorothée.

M. Berthold Auerbach cherche manifestement à se renouveler : c’est pour cela qu’il a refait ses premiers romans d’après une inspiration plus pure. Il doit persévérer, dans cette voie et se rendre compte de toutes les difficultés de sa tâche. L’habile conteur prend son art au sérieux, il veut que les œuvres de l’imagination exercent une influence pratique, et déjà il est le chef d’une école de moralistes : qu’il s’attaque donc résolument aux grands sujets, à ceux qui peuvent avoir une action sur la foule. Dans Poète et Marchand ainsi que dans Spinoza, M. Auerbach s’adresse aux lettrés, aux érudits, aux amis de la vérité délicate et subtile ; dans les Histoires de Village comme dans l’Écrin du Compère et dans Barfüszele, il s’occupe surtout des classes rustiques. Un poète assurément ne doit pas s’interdire de tels sujets, mais il ne doit pas non plus s’y enfermer. Entre les raffinemens intellectuels de l’homme qui tient une plume et la simplicité de l’homme qui tient la charrue, il y a la vie active, complexe, la vie de ces classes qui représentent le travail si varié de la civilisation et qui conduisent en définitive les destinées du monde. Sur ce grand théâtre de la vie, dans la mêlée des intérêts et des passions, l’étude des caractères offre bien autrement de ressources au talent de l’observateur et du peintre. De plus hautes questions provoquent sa pensée, et le roman dès-lors, cessant d’être un genre inférieur, occupe la place que Goethe lui assigne. En lisant les écrits de M. Auerbach, on souffre souvent de voir ce sentiment moral, cet amour de la dignité humaine, cet art ingénieux du récit employés avec tant de conscience pour des résultats si incomplets. L’auteur des Histoires de Village ne retrouvera les succès de ses débuts qu’en se mesurant avec les grands problèmes, en peignant les vices ou les vertus de la vraie société de son temps.

Ces avertissemens d’une critique sincère, M. Berthold Auerbach, j’en suis sûr, a dû se les adresser lui-même. Il habitait autrefois ces contrées de la Forêt-Noire où il a peint d’après nature des types qui resteront ; aujourd’hui il a fixé sa résidence au centre de l’Allemagne, dans l’une des plus intéressantes capitales de ce pays, au milieu d’un groupe d’écrivains et d’artistes qu’anime une féconde émulation. M. Auerbach habite Dresde, et Dresde, depuis quelques années, est devenue avec Munich le brillant foyer de l’imagination allemande. C’est là que M. Louis Richter, le peintre des mœurs nationales, groupe si harmonieusement dans ses compositions les enfans et les jeunes mères ; c’est là qu’un noble statuaire, M. Rietschel, a taillé ses belles statues de Schiller et de Goethe, tandis qu’un critique éminent, M. Hermann Hettner, commente les chefs-d’œuvre