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contradiction peut-être, semble avoir un goût particulier pour ce taudis. Il me semble que la lune me regarde comme si j’étais Endymion, et qu’à travers l’écorce des arbres toute la bande des dryades m’appelle. Enfin, pour rendre ma pensée complètement et simplement, une belle nuit me dispose toujours à dire et à faire toute sorte de folies.

« J’avais donc au suprême degré cette disposition-là, quand j’aperçus celle qui actuellement a le pouvoir de troubler mon cerveau à toute heure. Lucile était à quelques pas de moi. Elle se tenait au coin d’un parterre, entre une femme de charge et une sorte d’intendant. Il y avait dans le jardin de M. de Bressange une illumination qui était une nouveauté splendide pour Herthal : Les gens de la maison, protégés par les us de la province, s’étaient avancés discrètement dans une allée obscure pour contempler ces magnificences. Quelques voisins s’étaient joints à eux, et parmi ces derniers ma Lucile, qui d’ailleurs ne devait pas être étrangère à la partie gastronomique de la soirée. Eh bien ! malgré la singulière situation où je trouvai cette créature bien-aimée, je sentis à son aspect le plus emporté de tous les élans amoureux s’élever dans mon cœur. Bientôt je me fus glissé près d’elle ; je lui fis signe de me suivre, elle m’obéit toute rougissante d’une tendre fierté qui acheva de m’enivrer. Quand je l’eus séparée de la société malencontreuse où elle figurait, je pris sa main que je portai à mes lèvres, puis je plaçai son bras sous le mien. Cela se passait près d’une haute charmille, dans une partie retirée du jardin où aucun invité n’avait pénétré. L’ombre parfumée qui devant nous s’étendait sous un épais feuillage avait quelque chose de si séduisant, que je ne pus résister au désir de m’y plonger avec elle. Et me voilà dans le jardin de M. de Bressange comme j’aurais été avec Eve dans le jardin de la création, tout entier à ma compagne, traitant ce qui m’environnait comme la plus profonde et la plus complète des solitudes. Bientôt je revins à cette pensée que ce n’était point le désert qui m’entourait, mais le monde, et un monde qui à coup sûr n’avait nulle fantaisie de s’associer à mes inspirations romanesques. Ces réflexions, au lieu de me glacer, me causèrent une excitation nouvelle. C’est alors que je sentis dans toute sa force la dangereuse volupté de transformer un amour en défi jeté à l’opinion. — Appuie-toi sur mon bras, disais-je à Lucile avec une exaltation qui me charmait, ne suis-je pas ton soutien ? Je voudrais te prendre pour ma femme à la face de l’univers entier. — J’avoue pourtant que, guidé par des instincts de diverse nature, je me gardais bien, tout en prononçant ces paroles passionnées, de quitter les plus sombres profondeurs du jardin.

« J’arrivai avec elle jusqu’à une sorte de bosquet taillé dans le