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goût du XVIIIe siècle, le vrai bosquet de Jean-Jacques et de Mme d’Houdetot. Je m’assis à ses côtés sur un banc de gazon, et bientôt je fus à ses genoux. Nous étions entourés de cette adorable obscurité où l’amour, qui est un vrai prince des ténèbres, on ne peut le nier, règne avec tant de bonheur et de puissance. Je ne voyais pas ses traits, mais je sentais ses mains dans les miennes et son souffle sur ma joue. J’éprouvais une de ces grandes joies fugitives et immortelles comme des déesses qui poseraient un instant le pied sur la terre. Tout à coup j’entends des pas près de nous, puis des paroles viennent à mon oreille : c’étaient Mme de Pornais et M. de Bressange s’entretenant à voix basse, comme des gens qui trament quelque complot. — Là, dans ce bosquet, disait Mme de Pornais, ce sera d’un effet merveilleux ! — Et la voilà qui envahit notre asile. Ce réduit n’avait qu’une issue. Lucile, en s’échappant, effleure la baronne, qui retient à peine un cri de surprise. C’était une fuite qui arrivait à point. À peine ma pauvre colombe venait-elle de s’envoler, qu’une flamme d’un agréable incarnat illumine autour de moi le feuillage, et me fait surgir au milieu d’une véritable apothéose. Bressange avait eu la déplorable idée d’allumer dans son jardin des feux de Bengale. Il avait prié sa sœur de le guider dans l’art de disposer ces flammes malencontreuses. Voilà ce qui avait amené ce que je renonce à vous peindre. Encore tout étourdie par la brusque disparition de Lucile, Mme de Pornais me regardait d’un air si indigné, et ma situation était d’ailleurs si étrange, qu’un rire triomphant vint à mon secours et me délivra de tout embarras. J’offris mon bras à Honorine, qui n’osa point me refuser, et je rejoignis avec elle ceux dont je m’étais si complètement séparé. Soudain elle aperçut Lucile, qui avait repris la place où j’étais allé la chercher. Un regard rapide, échangé entre ma gracieuse complice et moi, lui apprit ce que du reste je n’aurais pas essayé de lui cacher.

— Vous n’êtes pas honteux, vous ne rougissez pas !…

Ainsi me parla tout bas une voix irritée.

— Ma foi, madame, répondis-je, vos flammes de Bengale m’ont teint, je crois, d’un assez beau rouge. Je n’ai plus d’autre rougeur à vous offrir.

— Ah ! reprit-elle, l’odieuse histoire ! vous abandonner à de pareilles amours, et si près de moi, ou pour mieux dire si près de nous…

Ce nous renfermant tout un ordre de personnes et de choses que la société d’Herthal représente assez mal peut-être, mais dont je reconnais l’existence après tout, ce nous, qu’elle dit avec une certaine dignité d’ailleurs, me causa une émotion dont je conviendrai avec vous, mon aimable et souverain juge. Cette fois je gardai le silence.