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pour tout résultat de tuer à jamais la France. Rusés, patiens, politiques, temporisateurs comme des prêtres, les rois français ont remplacé le prestige que donne la force par le prestige que donne la majesté. Ils sont imposans, et leur plus grand souci est de travailler à l’être ou à le paraître. Autre contraste, la monarchie française est la seule qui ait eu la prétention d’être une monarchie à la façon biblique. Le roi s’attribue un pouvoir patriarcal. Il n’est pas le chef de ses sujets, il en est le père, et il réclame d’eux l’obéissance et la docilité que le père réclame de ses enfans. Les théories de pouvoir paternel, protecteur, qui partout ailleurs n’ont eu qu’un sens utopique, ont toujours eu en France une quasi réalité. Les utopies de Thomas Morus et d’Harrington n’expriment que des chimères individuelles, nées du dégoût de la réalité ; mais Salente exprime encore autre chose que les chimères de Fénelon, elle exprime une des tendances les plus marquées de l’esprit français, la tendance à la tyrannie débonnaire, à l’autorité facile, à la justice indulgente, toutes choses qui répondent à un idéal de gouvernement ecclésiastique, et qui ont été l’idéal du gouvernement de l’église à toutes les époques, depuis les apôtres jusqu’aux modernes jésuites et à leur république du Paraguay. Partout ailleurs enfin les doctrines du droit divin ont été considérées comme des innovations scandaleuses et se sont produites fort tard. Lorsque le chimérique Jacques Ier mit en avant ses prétentions au pouvoir divin, la politique Angleterre recula d’épouvante devant ces théories bénignes ; mais moins de cinquante ans après lui, Bossuet les formulait en France, dans un livre majestueux qui ne blessa personne et qu’aujourd’hui encore, après les déclarations des droits de l’homme et cinq ou six constitutions déchirées, nous lisons sans étonnement et sans colère, tellement ces théories sont conformes à nos instincts secrets, sinon aux idées que nous avouons. Cette doctrine du droit divin, qui consacre l’alliance du pouvoir sacerdotal et du pouvoir politique, qui imprime à la royauté un caractère religieux, est pour ainsi dire une des traditions de l’esprit français, et s’y est toujours maintenue obscurément et d’une manière latente. Nous n’avons pas poussé la superstition jusqu’à faire du roi une émanation de Dieu, mais jamais nous n’avons consenti à voir en lui un pur chef d’état. Nous lui avons toujours attribué un pouvoir mystérieux, un certain don des miracles, et l’infaillibilité que nous avons refusée quelquefois au pouvoir religieux, nous l’avons accordée et nous l’accordons sans trop de peine au pouvoir politique. Telle apparaît la monarchie française, l’unique pouvoir sérieux que la France ait jamais eu en dehors de l’église. Quoique séparée de l’église, elle s’est formée à son ombre, elle en porte la marque, elle en parle la langue. Si quelque chose rappelle sous une forme mo-