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Notre séjour au havre Carteret fut d’ailleurs une circonstance fâcheuse pour la santé de nos équipages : les pluies continuelles que nous y avions rencontrées avaient répandu dans l’intérieur de nos bâtimens une humidité excessive, et l’on pouvait prévoir que cette humidité contribuerait à développer des maladies graves chez des hommes déjà épuisés par tant de fatigues. Le seul avantage que nous trouvâmes dans cette relâche, ce fut de renouveler aisément notre provision d’eau et de bois. Encore le bois qu’il fallut embarquer aussitôt après l’avoir coupé introduisit-il à bord des corvettes, conjointement.avec nos vieilles plaies, — les rats, les cancrelats et les charançons, — la plaie non moins insupportable des scorpions. Les germes déposés sous l’écorce ne tardèrent pas à éclore, grâce à l’influence d’une chaleur humide, et une fois envahis par ces nouveaux insectes, nous fîmes de vains efforts pour en arrêter la propagation.

Les personnes qui avaient été le plus avides de relâches se montraient le plus empressées à quitter cet affreux séjour. Nous voulûmes profiter d’une brise trop faible encore pour mettre sous voiles. Le calme surprit la Durance dans lapasse. Drossés par le courant sur une chaîne de brisans, nous nous hâtâmes de jeter l’ancre. En un instant, notre câble fut coupé par les roches. Heureusement une légère fraîcheur vint à souffler du sud, et nous permit de doubler les récifs ; mais nous perdîmes une ancre, perte irréparable.dans une campagne comme la nôtre, et qui pouvait plus tard avoir des suites funestes.

Bien que le temps ne cessât point d’être pluvieux et couvert, nous suivîmes la côte occidentale de la Nouvelle-Irlande sans nous en écarter jamais de plus de cinq ou six milles. Nous traversâmes le canal qui sépare cette grande île de l’île Sandwich, rangeant de très près les flots et les bancs qui obstruent l’étroit passage que nous remarquâmes entre là Nouvelle-Irlande et le Nouvel-Hanovre. De ce point, nous mîmes le cap sur les îles de l’Amirauté, distantes d’environ cinquante lieues. Nous laissâmes sur la droite les îles Portland, terres basses, environnées de récifs, et qui paraissaient se relier avec les plages à demi noyées de la pointe occidentale du Nouvel-Hanovre. La première île appartenant au groupe de l’Amirauté que nous aperçûmes fut l’île Jésus-Maria, découverte en 1781 par le pilote espagnol Francisco-Antonio Maurelle.

L’île Jésus-Maria était entourée de récifs comme la plupart de celles que nous avions rencontrées depuis notre départ de la terre de Van-Diémen. Le bruit avait couru, je ne sais trop sur quel fondement, que les bâtimens de Lapérouse avaient dû faire naufrage sur ces îles. L’Europe entière s’était émue de la catastrophe qui avait