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terminé de si beaux travaux, et de tous côtés on cherchait à retrouver les traces de nos compatriotes. Quant à nous, aucune gloire ne nous eût semblé préférable à celle de sauver, s’il était possible, ces glorieux devanciers, ou, s’ils avaient tous péri, d’apprendre au moins au monde quel avait été leur destin. Nous serrâmes donc la côte de plus près encore que d’habitude, afin qu’aucun signal, s’il nous en était fait, ne pût échapper à nos regards ; mais nous n’aperçûmes que des groupes de sauvages entièrement nus, dont la couleur d’ébène ne pouvait nous laisser aucun doute sur la race à laquelle ils appartenaient. La brise était très fraîche, la mer grosse, et il nous fut impossible de mettre une embarcation à la mer.

L’exploration de l’île Jésus-Maria ne tranchait cependant pas d’une manière définitive la question que nous avions à cœur d’éclaircir, car elle s’était accomplie dans des circonstances peu favorables : nous n’avions eu aucune communication avec les naturels. En admettant que l’île Jésus-Marià ne fût point le lieu même du naufrage, les habitans pouvaient avoir recueilli, par leurs relations avec les îles voisines, quelques détails sur ce grand événement. Nous avions distingué des pirogues en dedans des récifs ; ces pirogues indiquaient un peuple navigateur, et tout autour de l’île Jésus-Maria se trouvaient semées d’autres îles, dont les plus éloignées étaient à peine distantes de vingt milles. Il eût donc été regrettable de quitter ces parages sans faire un nouvel effort pour obtenir des indications qui pouvaient nous mettre sur la trace de Lapérouse. Nous étions sans doute fort impatiens d’atteindre les Moluques ; nous n’en vîmes pas moins avec une joie véritable l’amiral donner l’ordre de passer la nuit en panne, et, dès que le jour fut venu, de se diriger, en remontant contre le vent, vers l’île qui paraissait être la plus orientale du groupe. Cette île était la Vandola, petite île de trois milles à peine de circonférence. À en juger par son étendue, on eût pu la croire inhabitée ; mais dès qu’en approchant on eut distingué des cocotiers, on eut meilleur espoir. Les cocotiers dans l’Océanie sont comme les figures de mathématiques que le philosophe grec vit tracées sur le rivage : partout où l’on en aperçoit, on ; peut se tenir pour à peu près assuré de rencontrer des hommes.

Bientôt en effet nous pûmes discerner des pirogues échouées sur la plage, et près de ces embarcations des naturels dont l’attitude nonchalante n’annonçait point qu’ils se préparassent à venir à bord des corvettes. Nous étions bien résolus cette fois à ne pas manquer l’occasion d’une entrevue. Nous laissâmes arriver sous le vent de l’île, et chacune des corvettes mit une embarcation à la mer. Je reçus l’ordre de prendre place dans le canot de la Durance. Cette faveur me combla de joie. Je la devais, il faut bien que je l’avoue, à une