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même temps que se lève la jeunesse. M. Brownson avait alors dix-neuf ans.

La doctrine presbytérienne n’est pas précisément sentimentale, et ne pouvait guère répondre à ce besoin d’amour et d’expansion qui travaillait M. Brownson. Dès la première réunion des fidèles, il fut rebuté et scandalisé. On pria pour la conversion des pécheurs, on renouvela un engagement habituel, un covenant, par lequel tout membre de la congrégation promettait de travailler à cette œuvre sainte, en frappant les pécheurs de réprobation, en les évitant comme la peste, et en ne leur adressant la parole que pour leur reprocher leurs péchés. « Nous devions, par nos manières envers eux, montrer à tous ceux qui n’étaient pas membres de notre église que nous les regardions comme les ennemis de Dieu et par conséquent comme nos ennemis, qu’ils étaient haïs de Dieu et par conséquent haïs de nous. » dans les relations d’affaires, le véritable presbytérien devait toujours donner la préférence aux membres de son église, et lorsque par malheur il était obligé, pour ne pas sacrifier ses intérêts, d’entrer en relations de commerce avec les parias qui ne faisaient pas partie de l’église, il était méritoire de faire appel à leur intérêt bien entendu, à leur cupidité, à leur égoïsme, pour le plus grand bien de la religion. Les membres de la congrégation n’étaient certainement pas obligés de sacrifier à la conversion des pécheurs une bonne affaire, ni même un simple ballot de marchandises ; mais il était louable de faire entendre à un débiteur ou à un client que sa conversion au presbytérianisme faciliterait singulièrement l’ouverture d’un crédit ou le renouvellement d’une dette. Ainsi se trouvaient réconciliés dans un austère pharisaïsme le zèle chrétien et la cupidité mercantile. Il va sans dire qu’un espionnage insupportable était le résultat de ces charitables engagemens. Pour la faute la plus vénielle, on courait risque d’être dénoncé publiquement devant la congrégation et mis au rang des pécheurs. Les libertés les plus innocentes étaient regardées comme un crime.

Cette doctrine ne se contentait pas de faire violence à la nature, elle faisait aussi violence à la raison. « On me défendit de lire d’autres livres que ceux écrits par les presbytériens ; on m’interdit d’examiner ma croyance, de raisonner sur elle ou à propos d’elle. » M. Brownson ne tarda point à se demander de quel droit on lui interdisait d’examiner sa croyance, puisqu’on ne lui en avait imposé aucune, et que la seule autorité que reconnût l’église presbytérienne, la Bible, était livrée à l’interprétation de son jugement privé. M. Brownson raisonne beaucoup pour résoudre cette contradiction. On lui disait de croire aveuglément, et on ne lui disait pas à quelles doctrines il devait croire ! On lui commandait et on lui défendait en