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même temps l’exercice de sa raison. M. Brownson était venu à l’église presbytérienne pour apaiser les doutes de son intelligence, et voilà qu’on ne lui enseignait rien ! Cependant il y a moyen d’expliquer la contradiction qui dérouta M. Brownson. Le presbytérianisme ne lui enseignait rien, parce qu’en effet il n’avait rien à lui enseigner, et qu’en principe il ne se reconnaît le droit d’imposer aucune doctrine. Le seul docteur qu’il reconnaisse est la parole divine consignée dans la Bible. Néanmoins il est tyrannique, parce qu’il est avant tout une forme particulière de gouvernement ecclésiastique, et qu’il fut à l’origine une machine de combat. L’église presbytérienne ressemble dans son organisation primitive à l’armée de Cromwell, où chaque soldat interprétait les ordres du général, et obéissait cependant à ces ordres avec la plus stricte discipline. Le principe est libéral, et la forme est tyrannique ; mais ici la forme domine de beaucoup le principe, qui est commun à toutes les églises protestantes, et qui par conséquent ne peut pas constituer essentiellement le presbytérianisme. Comment M. Brownson ne s’aperçut-il pas qu’en embrassant le presbytérianisme, ce n’était pas un corps de doctrines, mais une forme d’organisation ecclésiastique qu’il adoptait ? Il fut rebuté par le zèle pharisaïque de la congrégation, et je le crois sans peine ; mais qu’était-il allé faire dans cette galère ?

Néanmoins cette première expérience eut un résultat important. Aussitôt qu’il se fut émancipé de la tyrannie presbytérienne, il put reconnaître, quoiqu’il ne l’avoue pas, que cette tyrannie était très superficielle, nullement morale, et ne contraignait en rien les libertés de l’âme. La preuve, c’est que son premier raisonnement fut de pousser à l’extrême le principe de libre interprétation qu’on lui avait enseigné. On lui avait dit que la Bible est infaillible, et qu’avec l’assistance de l’Esprit saint, il en comprendrait le véritable sens ; mais comment pourrait-il compter sur l’assistance de l’Esprit saint pour reconnaître la véritable interprétation ? À moins de s’en tenir à la lettre stricte de l’Écriture, il fallait qu’il se résignât à suivre les lumières de la raison naturelle. Il adopta courageusement ce parti, et passa des vieilles doctrines du calvinisme orthodoxe aux nouvelles doctrines du protestantisme libéral. Il avait été initié par une sœur de sa mère aux doctrines de l’universalisme, et c’est vers ces doctrines qu’il se tourna aussitôt qu’il se fut émancipé du joug presbytérien. M. Brownson n’a pas toujours été clairvoyant dans ses recherches de la vérité. Pour trouver la vérité, il était allé d’abord s’adresser à une forme d’organisation ecclésiastique ; le voilà qui maintenant va s’adresser à une doctrine qui repose sur une idée unique. M. Brownson ne semble pas avoir jamais connu la différence qui sépare les doctrines dogmatiques des doctrines qu’on peut ap-