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l’issue du xvie siècle, entre les guerres de religion qui ont agité l’Europe et cette guerre bizarre des rues de Paris qui doit un peu plus tard enflammer la société française. Henri IV vient de mourir sous le poignard avant d’avoir pu mettre la main à la réorganisation européenne qu’il méditait. Il semblerait que toutes les forces, lassées et épuisées d’agitation, dussent aspirer au repos. C’est au contraire le moment où l’Europe se précipite dans cette latte indescriptible qu’on a appelée la guerre de trente ans. Le prétexte importe peu du reste en pareille situation : ce sera la dépossession du palatin, la revendication de la Bohème par l’empereur d’Allemagne. Ce qu’il y a de caractéristique en cette époque, c’est que la guerre était dans la nature des choses, dans toutes les situations contraintes, dans l’avènement de droits et d’intérêts nouveaux qui réclamaient leur place, dans le péril universel que créait la puissance démesurée de la maison d’Autriche. De là les traits distinctifs de cette lutte à la fois religieuse et politique, soutenue par les princes protestans d’Allemagne combattant pour leur existence, continuée par Richelieu combattant la puissance autrichienne. De là aussi ces alliances de la France et du protestantisme, héroïquement représenté par Gustave-Adolphe. Laissez se mêler toutes ces passions, tous ces intérêts : vingt fois la guerre changera de théâtre et d’objet ; enverra naître ce cosmopolitisme des partis qui n’est point un phénomène propre à notre temps, comme on pourrait le croire. Il se développera une confusion gigantesque au sein de laquelle la guerre deviendra une sorte de fatalité inexorable et normale. Des générations de soldats se succéderont, et le dernier mot de cette sanglante mêlée sera le traité de Westphalie, qui fonde la paix de l’Europe non sur un principe de droit, mais sur l’équilibre ou la neutralisation des forces.

C’est là l’obscure et tragique période que M. Michelet raconte aujourd’hui. Ces pages sur la guerre de trente ans et sur Richelieu, comme toutes celles qui les ont précédées, sont-elles cependant une histoire ? Si vous ne connaissez pas les événemens, M. Michelet ne vous les apprendra guère à coup sur. Il les connaît pour sa part, il ne les raconte pas. Il les intervertit souvent, il trouble les dates, et l’on marche à sa suite comme dans un tourbillon où se succèdent des tableaux étranges tracés d’une main fiévreuse. Si vous connaissez l’histoire au contraire, M. Michelet deviendra un guide, sinon toujours sûr, du moins pénétrant et hardi, plein de fantaisie et d’imagination, qui donnera une couleur aux choses et aux hommes. L’auteur de Richelieu et la Fronde ne s’arrête point aux faits positifs et acceptés ; il recompose la scène, il refait des personnages, il analyse les traits d’une physionomie avec un don d’intuition aussi bizarre qu’imprévu. M. Michelet est un merveilleux scrutateur de la vie intime ; il est parfaitement renseigné, n’en doutez pas, sur l’heure précise à laquelle Anne d’Autriche conçut Louis XIV. Il avait déjà résolu le même problème pour Marie de Médicis. Heureusement M. Michelet a des traits mieux inspirés pour peindre Gustave-Adolphe, Wallenstein, le terrible soldat de la guerre de trente ans, Condé lui-même, qu’il traite un peu trop librement, et qu’il appelle un général d’été. En ne traçant qu’une imparfaite et capricieuse image de l’histoire, il sait en communiquer du moins la vive et forte impression.

Le passé au reste, on peut ne pas l’aller chercher si loin. À côté du passé de Richelieu et de Conde, il y a un autre passé qui est d’hier, celui de la