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porte guère. Peut-être même sa sympathie est-elle plus dangereuse que sa malveillance. Goldsmith aimait certainement l’honnête Primerose, le cher ministre de Wakefield ; le clergé anglican n’a pourtant guère profité de cette tendresse, par trop clairvoyante et légèrement ironique. M. de Balzac s’était donné pour tâche d’intéresser vivement aux petits malheurs du pauvre abbé Birotteau ; la compassion qu’inspire ce naïf desservant n’a pourtant pas jeté, que l’on sache, un grand lustre sur l’église de France en général, ou en particulier sur le chapitre métropolitain de Saint-Gatien de Tours. Rutebœuf, Marot, et après eux La Fontaine, bien autrement médisans, étaient par cela même moins à craindre, et si j’avais l’honneur d’appartenir au clergé, je pardonnerais plus volontiers à M. de Balzac les caricatures monacales de ses Contes drolatiques que les portraits sérieux où il a renchéri d’exactitude peut-être, — mais non de profondeur, — sur son modèle, l’auteur de Rouge et Noir.

En Angleterre, où pénètre peu à peu la contagion philosophique, on s’est mis aussi à « étudier » le clergé, — le haut et le bas, et celui des sectes dissidentes, — non dans un esprit hostile, non, comme à la fin du dernier siècle, avec l’idée de battre en brèche, par la satire des individus, l’institution que ces individus représentent, et qui demeure responsable de leurs faiblesses. Le point de départ nous paraît avoir été tout autre : on a pensé à réformer, nullement à détruire. Signaler l’oisiveté fastueuse, l’indolente et somnolente érudition d’un de ces prélats que dote si fastueusement le budget de la Grande-Bretagne, c’est troubler dans sa molle quiétude un pasteur infidèle à sa mission ; quelle œuvre plus pie et plus méritoire ? Peindre un ministre ou un vicaire adonné aux plaisirs de la table, dénoncer les complaisances qu’il a pour une bonne cuisine et les flatteries dont il paie un dîner chez le squire du canton, c’est faire honte à ce malheureux et lui rappeler que l’homme ne vit pas seulement de roastbeef. Quoi de plus conforme au langage des saintes Écritures, et en somme de plus charitable pour celui-là même qu’on semble prendre à partie ? — Châtier, c’est aimer, dit l’austère morale.

Ce raisonnement, quelque peu prestigieux et trompeur, les hommes ne l’ont pas fait, et pour cause. Les écrivains du sexe le moins aimable ont pris une part très médiocre à cette réforme des mœurs cléricales par le roman moderne. Ce grand chasseur d’abus qu’on appelle Dickens, sans cesse en quête de questions sociales à élucider, de solutions pratiques à recommander, n’a pas, ce nous semble, dans un seul de ses nombreux romans, entrepris pour le clergé ce qu’il a tenté successivement pour le régime pénal, celui des tribunaux d’appel, celui de l’enseignement libre, etc. L’hypocrisie religieuse ne lui a fourni, pour ce qu’il pourrait appeler, lui aussi, et à bon