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France seule, c’est contre ses propres concitoyens qu’il dirige ses menaces. N’a-t-il pas dit l’autre jour que a l’intervention de l’autorité deviendrait nécessaire pour dissiper les illusions dangereuses et déjouer les interprétations malveillantes qui égarent tant de citoyens, » faisant ainsi allusion aux lettres des députés à leurs constituans ?… Moi qui ai horreur des mystères, des insinuations et des demi-confidences, je me vois dans l’impossibilité d’écrire librement, tant les infidélités de la poste rendent dangereuse toute correspondance sincère. Je ne sais ce qui me mortifie le plus, de n’oser écrire ce que je pense ou de voir mon pays supporter un tel état de choses… Il aurait été impossible au politique le plus clairvoyant de prévoir, il y a sept ans, que le peuple de ce grand pays pût jamais s’abandonner à un effroi aussi fantastique et prendre assez peur de lui-même et de son propre pouvoir pour le livrer spontanément à ceux qui veulent l’entraîner à une forme de gouvernement dont les principales branches seront placées au-dessus de son contrôle. Heureusement cette fièvre ne durera pas. En dépit de tout, le pays reste essentiellement républicain. Il conserve au fond du cœur les principes de 1776 dans toute leur pureté, et ceux qui ont la conscience de n’avoir pas changé n’ont rien à craindre à la longue. »

Pour frapper de terreur ceux « qui avaient la conscience de n’avoir pas changé, » de rigoureuses mesures de sûreté générale furent proposées au sein du congrès. C’était dans la tourbe des réfugiés et des émigrans européens que l’armée démocratique recrutait le plus facilement ses soldats. Un alien act, qui conférait au président le droit d’expulser les étrangers du territoire, fut voté par les deux chambres. Quelques furieux osaient encore contester ouvertement la justice de la cause américaine. Un projet de loi fut soumis au sénat pour punir de mort tout citoyen convaincu d’avoir entretenu des intelligences avec les Français et pour frapper d’un emprisonnement dont le terme n’était pas défini ceux qui, par leurs propos ou par leurs écrits, se seraient rendus coupables d’avoir cherché à justifier le directoire ou à diffamer le gouvernement des États-Unis. À la lecture de ce projet, Hamilton fut effrayé de l’extravagance de ses amis : « N’établissons pas la tyrannie, écrivait-il à Olivier Wolcott, secrétaire du trésor sous John Adams ; ne confondons pas l’énergie avec la violence. Si nous ne faisons point de faux pas, nous resterons unis ; mais si nous poussons les choses à l’extrême, nous donnerons à l’esprit de faction un corps et un lien. » La loi dont le souvenir odieux s’est perpétué en Amérique sous le nom de sedition act ne fut portée à la chambre des représentans qu’après avoir été fort adoucie par le sénat. Elle subit encore plusieurs amendemens avant d’être définitivement adoptée ; mais elle resta mauvaise en soi