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C’est une question secondaire en apparence, et cependant elle est grave par les conséquences qu’elle pourrait avoir. C’est en Italie surtout qu’il n’y a pas de petites questions. Ainsi que le disait lord Malmesbury dans le parlement, si le Piémont est en guerre avec Naples, l’Autriche ne restera pas certainement inactive ; si l’Autriche vient en aide au roi de Naples, la France descendra des Alpes, elle ne laissera point se résoudre sans être présente tous ces problèmes de la situation de l’Italie, et c’est ainsi que les petites affaires se transforment par la force des choses en difficultés redoutables que l’Europe entrevoit toujours, et qu’elle doit écarter sans cesse par lin conseil prudent.

Sur tous ces points, l’Angleterre est engagée, elle a ses intérêts et sa part de responsabilité ; mais avant tout il y a, pour le cabinet de Londres, une première question, celle de savoir s’il vivra, s’il surmontera la tempête qui vient de l’assaillir. Né de circonstances imprévues, soutenu au pouvoir moins par sa propre force que par l’indécision et les divisions de tous les partis, n’ayant pas même une majorité réelle, le ministère de lord Derby a mené jusqu’ici une existence assez problématique, se pliant aux nécessités d’une situation difficile, et évitant surtout les aventures. Au lieu d’appeler la lutte, il l’éludait soigneusement. Ce système d’atermoiement n’a servi peut-être qu’à créer pour lui un danger plus sérieux. L’orage est né des affaires de l’Inde. Le ministère a bien fait ce qu’il a pu pour se mettre à l’abri de l’attaque des partis ; toutes ses habiletés ont échoué en présence d’un fait inattendu qui a ranimé toutes les luttes politiques. Quel est donc ce fait ? Le gouverneur-général de l’Inde, lord Canning, a communiqué au cabinet de Londres une proclamation qu’il se proposait d’adresser aux habitans du royaume d’Oude. Cette proclamation annonçait que toutes les propriétés du royaume étaient confisquées au profit du gouvernement britannique ; six rajahs ou zemendars étaient seuls exceptés de cette mesure générale. Confisquer tout un royaume, même après une insurrection comme celle qui a éclaté, c’est là sans doute un acte singulier ; si l’on veut atténuer le caractère violent de cette confiscation universelle, il faudra se rappeler que, dans le royaume d’Oude, la propriété est concentrée entre les mains de quelques petits tyrans féodaux, maîtres de tout le territoire et surpris évidemment en flagrant délit de révolte. D’ailleurs lord Canning laisse entrevoir que la mesure pourra n’être point rigoureusement exécutée à l’égard de ceux qui feront une prompte soumission, et qui donneront de nouveaux gages de fidélité en concourant au rétablissement de la paix. Devant un tel fait, bientôt divulgué à Londres, le cabinet s’est engagé, sans trop de réflexion peut-être, dans une voie hasardeuse. Pressé par les interpellations qui n’ont pas tardé à l’assaillir dans le parlement, il a d’abord déclaré qu’il avait blâmé la proclamation de lord Canning dès qu’il l’avait connue ; bientôt il est allé plus loin, en publiant la lettre par laquelle il désavoue l’acte du gouverneur-général de l’Inde. Or cette lettre ne blâme pas seulement lord Canning, elle reconnaît jusqu’à un certain point la légitimité de l’insurrection, elle condamne le système suivi depuis longtemps par l’Angleterre, et il ne faudrait pas un grand effort de logique pour conclure du texte que l’annexion de l’Oude a été parfaitement illégale.