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sant toujours la part de ce qui manquait trop souvent à la dignité des hommes dans cette puissante et despotique organisation de l’empire, il faut bien admirer aussi la prodigieuse activité qui dévorait cette nature infatigable de l’empereur. On en vient à se demander comment un seul homme a pu tant écrire, tant dicter et accomplir tout à la fois tant d’actes qui changeaient la face de l’Europe. En administrateur scrupuleux, il n’hésitait pas quelquefois à faire de rudes justices, et dans ce dernier volume des Mémoires du prince Eugène, il amenait à restitution quelques-uns de ses généraux les plus illustres, qui avaient littéralement accablé l’Italie de leurs déprédations. Napoléon n’oubliait qu’une chose, c’est que ces déprédations étaient une conséquence des guerres permanentes de conquête qu’il entretenait, de la domination exclusive de l’esprit militaire qui était son plus puissant instrument. Aussi, après avoir puni sévèrement, était-il obligé de finir par fermer les yeux. C’est là une des tristes pages des Mémoires du prince Eugène, d’où se dégageront sans doute de nouvelles lumières à mesure que des faits nouveaux se succéderont.

La littérature vit de l’histoire comme elle vit de l’analyse de tous les faits moraux et intellectuels, ou de l’observation de toutes les nuances de la vie humaine. Faire pénétrer partout des leçons utiles, aider les hommes à se comprendre et à chercher le bien dans la condition où ils vivent, éclairer ou charmer par des récits vrais et fidèles, par de fines études morales, c’est là certainement l’un des objets de la littérature, d’une littérature qui n’a rien de spéculatif, qui s’inspire d’une pensée pratique. M. l’abbé Bautain fait mieux encore : il veut donner un attrait de circonstance à une œuvre récente sur laquelle il fonde, on n’en peut douter, de grandes espérances de prosélytisme chrétien. La Belle Saison à la campagne, n’est-ce pas là un titre tout du moment, habilement trouvé pour déguiser un recueil de conseils spirituels ? Et le livre répond au titre. C’est, si l’on peut ainsi parler, un code en action de l’art de bien vivre loin du bruit des villes, au milieu de la paix des champs. Seulement, quand on y regarde de plus près, on se trouve tout d’abord en présence d’un sérieux embarras, car, pour mettre en pratique les conseils de M. l’abbé Bautain, la médiocrité de la fortune ne suffit pas, la richesse est une première condition essentielle. Il faut un château, de grands parcs, une vie somptueuse, une riche bibliothèque, de l’or à répandre en fondations de charité, et au milieu de tout cela que deviennent ceux qui n’ont qu’une modeste et simple maison où ils vont chercher l’air et le repos après un hiver laborieux ? Ceux-là n’ont évidemment qu’à bien cultiver leur jardin. Les conseils de M. l’abbé Bautain ont-ils l’efficacité qu’il leur attribue ? C’est une question à débattre entre le maître et le disciple auquel s’adresse son livre. Il est pourtant une chose qui nous arrête encore : c’est l’article des lectures qui doivent occuper les loisirs de la campagne, c’est la partie littéraire. La littérature moderne n’a point évidemment la faveur de M. l’abbé Bautain. Que peuvent être des écrivains aujourd’hui, si ce n’est des mercenaires qui se mettent à faire des pages et des livres le plus qu’ils peuvent ? Rien n’est plus misérable, selon M. l’abbé Bautain, que d’écrire pour se faire une réputation quelconque ou un revenu. Il est vrai que l’auteur daigne faire quelques exceptions, parmi