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lesquelles il se place sans contredit. De tels jugemens, empreints de cette légèreté dédaigneuse et d’un goût plus que douteux, ne sont pas moins un fait curieux à observer. M. l’abbé Bautain, il faut le présumer, a pensé que les lettres étaient trop en lionneur de nos jours, et il a voulu les rappeler chrétiennement à l’humilité. Seulement, en diffamant la profession et en faisant du bout des lèvres une sorte de réserve en faveur de quelques exceptions, il n’a pas vu qu’il disait le contraire de ce qu’il voulait dire sans doute, ou du moins de ce qui est vrai. Qu’il y ait dans les lettres des plumes mercenaires, c’est un fait malheureusement trop réel, et M. l’abbé Bautain pouvait trouver, s’il le voulait, à exercer ses justices ; mais où donc ce sévère moraliste a-t-il vu que, parce qu’on écrivait périodiquement, on faisait nécessairement de la littérature un trafic ? Ce qu’il y a de plus singulier, c’est que, lorsqu’il s’agit du professeur, également obligé de parler à jour fixe et de se hâter dans son travail, l’auteur voit dans cette nécessité une excitation salutaire, un aiguillon généreux. D’où vient donc la différence qu’il met dans ses jugemens ? C’est qu’il ne se souvient peut-être que de sa qualité de professeur, sans remarquer l’intime solidarité qui existe entre toutes les manifestations de la pensée. À tout propos, ce noble et difficile métier d’écrire devient l’objet des tristes querelles de M. l’abbé Bautain, et, à voir les étranges idées que l’auteur de la Belle Saison à la Campagne professe sur les écrivains, on doit croire qu’il tient à leur ressembler aussi peu que possible. S’il a donné à son livre un titre attrayant, s’il le met au jour à l’heure précise où la société parisienne va se disperser, ce n’est point évidemment pour saisir la circonstance et pour fixer l’attention ; c’est uniquement pour faire plus de bien, en attirant un plus grand nombre de lecteurs ! S’il publie une œuvre littéraire, il est bien clair qu’il n’entend en retirer aucun fruit, et que les pauvres seuls profiteront du succès. C’est du moins ce qu’on pourrait conclure des sévérités de M. l’abbé Bautain, et voilà comment des intelligences d’ailleurs distinguées mettent parfois un triste zèle à diminuer les lettres, lorsque tous les efforts sincères et sérieux devraient tendre à les relever, en réveillant le sentiment de la puissance et de la dignité de l’esprit.

Nous n’avons pas fini cependant avec les morts et les deuils dans les lettres. Depuis quelque temps, des poètes, des historiens, des critiques, des artistes, s’en vont l’un après l’autre, comme un pâle et funèbre essaim. Ils étaient d’une même génération, ils ont vécu à l’air d’une même époque, et la plupart de ces ouvriers de l’intelligence et de l’imagination disparaissent prématurément sans arriver à la fin de leur active journée. Le dernier de tous ces morts est un poète d’une sobre et pénétrante inspiration, c’est Auguste Brizeux, l’auteur de Marie et des Bretons, qui vient de rendre son âme loin de Paris et loin des siens, dans le midi, où il était allé chercher la santé. Il y a vingt-huit ans déjà que dans le bruit du lendemain d’une révolution paraissait ce petit poème de Marie, œuvre d’un art délicat et émouvant, où une sorte de grâce virgilienne s’allie si bien à la vieille inspiration celtique : c’était assez pour révéler un poète. Tel se montrait Brizeux dès le premier jour, tel il est resté depuis, esprit ingénu et scrupuleux, cœur timide et fier, imagination gracieuse et mesurée, poète et rien que poète. C’est ainsi que,