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— De quel baron ? Faut-il vous nommer l’homme de neige ?

— Ah ! oui-dà ! il s’agit de l’homme de neige ? Eh bien ! j’avoue que je n’en suis pas plus avancé.

— Comment, monsieur Goefle, vous ignorez le surnom du plus puissant, du plus riche, en même temps du plus méchant, du plus haïssable de vos cliens, le baron Olaüs de Waldemora !

— Quoi ! le propriétaire de ce château ?

— Et du château neuf, sur l’autre rive du lac, et de je ne sais combien de mines de fer, de plomb ou d’alun, et de plusieurs vallées, forêts et montagnes, sans compter les champs, les bestiaux, les fermes et les lacs ; le seigneur enfin d’un bon dixième de la province de Dalécarlie ! Voilà les raisons que ma tante me donne du matin au soir pour me faire oublier qu’il est vieux, triste, malade, et peut-être chargé de crimes !

— Tudieu ! s’écria Cristiano tout étonné, voilà un aimable personnage chez qui je me trouve !

— Vous vous moquez de moi, monsieur Goefle ! vous ne croyez pas au crime !… C’était donc pour me railler que vous disiez tout à l’heure…

— Ce que je disais tout à l’heure, je suis prêt à le redire ; seulement je voudrais savoir de quel crime vous accusez mon hôte.

— Je ne l’accuse pas ; c’est la rumeur publique qui m’a habituée à voir en lui l’assassin de son père, de son frère, et même celui de sa belle-sœur, la malheureuse Hilda !

— Comment ! rien que ça !

— Mais vous savez bien qu’on le dit, monsieur Goefle ; n’avez-vous pas été chargé dans le temps ?… Non, je me trompe, c’est votre père qui a dû être l’avocat du baron Olaüs dans ce temps-là. Le baron a produit je ne sais quels actes… On n’a rien pu prouver contre lui ; mais jamais on n’a su la vérité et jamais on ne la saura, à moins que les morts ne sortent du tombeau pour la dire.

— Cela s’est vu quelquefois, répondit Cristiano en souriant.

— Vraiment vous croyez…

— C’est une manière de dire qui appartient au vocabulaire de ma profession ; vous savez, quand une preuve inattendue, une lettre perdue, une parole oubliée…

— Oui, je sais, mais on n’a rien retrouvé, et depuis quinze ou vingt ans, le silence et l’oubli se sont faits. Le baron Olaüs, soupçonné et haï d’abord, est venu à bout de se faire craindre, et tout est dit. À présent il pousse la confiance et la présomption jusqu’à vouloir se remarier. Ah ! que Dieu me préserve d’être l’objet de ses poursuites ! Il a, dit-on, beaucoup aimé sa femme ; mais quant à la baronne Hilda, on croit généralement…