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— Que croit-on ?

— Je vois que ces histoires de paysans n’ont pas été jusqu’à vous, monsieur Goefle, ou bien vous en riez, puisque vous voilà installé tranquillement dans cette chambre.

— En effet, il y a quelque histoire là-dessous, répondit Cristiano, frappé d’un souvenir récent. Les gens de la ferme me disaient ce soir : Allez-y et racontez-nous demain comment la nuit se sera passée ! Il y a donc un lutin, un revenant…

— Il faut croire que, fantôme ou réalité, il y a quelque chose d’étrange, car maître Stenson lui-même y croit, et le baron peut-être aussi, car depuis la mort de sa belle-sœur il n’y a, dit-on, jamais remis les pieds, et même il a fait murer une certaine porte…

— Par ici, dit Cristiano en montrant le haut de l’escalier.

— C’est possible, je ne sais pas, répondit Marguerite. Tout cela est très mystérieux, et je vous croyais au courant de choses que j’ignore. Je ne crois pas aux revenans !… pourtant je ne voudrais pas en voir, et rien au monde ne me déciderait à faire ce que vous faites en voulant dormir ici. Quant au baron, que l’histoire du diamant soit vraie ou fausse…

— Ah ! ah ! encore une histoire ?

— Celle-là est la moins vraisemblable de toutes, j’en conviens, et je ne peux pas m’empêcher de rire en vous la répétant. On raconte dans les chaumières des environs que par amour pour sa femme, qui était aussi méchante que lui, il a confié son corps à un alchimiste, qui l’a fait réduire dans un alambic, et qu’il en est résulté un gros diamant noir. Ce qu’il y a de certain, c’est qu’il porte au doigt une bague étrange que je ne peux pas regarder sans terreur et sans dégoût.

— Ce qui est bien la preuve ! dit Cristiano en riant ; mais jugez donc si un pareil sort vous était réservé ! Je sais bien qu’il ne pourrait sortir de l’alambic où vous cuiriez qu’un joli diamant rose de la plus belle eau ; mais ce n’en serait pas plus gai pour vous, et je vous conseille de ne pas vous exposer à la cristallisation.

Marguerite éclata de rire ; les échos de l’antique salle répétèrent ce rire frais et enfantin d’une façon si mystérieuse, qu’elle eut peur tout à coup, et, redevenant triste, elle dit d’un ton découragé : — Allons, c’en est fait, je le vois, monsieur Goefle, vous êtes un homme aimable et spirituel, on me l’avait bien dit : mais, en espérant que vous penseriez comme moi, et que vous seriez mon appui et mon sauveur, je m’étais bien trompée. Vous pensez comme ma tante, vous traitez de rêveries tout ce que je viens de vous dire, et vous repoussez la plainte de mon pauvre cœur ! Que Dieu me prenne en pitié, je n’ai plus d’espoir qu’en lui !