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chez les Serbes les mêmes progrès que chez les classes élevées de la Roumanie ; mais cette population slave a sur l’ensemble des Roumains une grande supériorité sociale : la classe agricole ne s’y compose que de paysans libres[1].

Les diverses branches du peuple serbe ont eu, comme on sait, un sort différent. La Serbie proprement dite, c’est-à-dire la principauté serbe, a obtenu des conditions d’existence assez analogues à celles des provinces roumaines. Elle a eu sur celles-ci l’avantage de ne pas subir d’occupations étrangères ; elle a affermi sa constitution, fondée sur des principes démocratiques, et, malgré bien des obstacles, elle est entrée résolument dans les voies de la civilisation occidentale. En Bosnie, la population indigène de religion musulmane, encore très nombreuse, et qui l’était beaucoup plus autrefois, a pu comprimer toutes les révoltes des chrétiens en se mettant elle-même en insurrection ouverte contre toutes les innovations de la Porte. La Bosnie est restée, comme on l’a dit assez heureusement, une Vendée musulmane. La répression des chefs bosniaques en 1851 a fondé la réputation d’Omer-Pacha, mais n’a pas assuré la sécurité du pays. Rien de plus précaire que l’autorité du sultan dans cette contrée, où les musulmans regrettent leurs privilèges, tandis que les chrétiens aspirent à une liberté complète. Les premiers ont seuls le droit de porter des armes et en profitent pour commettre sur les seconds des violences continuelles. L’irritation qui existe entre ces deux parties de la population donne lieu sans cesse à des conflits sanglans. Il en est de même en Herzégovine, à cela près que le voisinage du Monténégro est pour les chrétiens de cette province une protection qu’ils savent invoquer au besoin. Ces provinces occidentales, où les réformes ont à peine pénétré, restent dans un état de barbarie exceptionnel même pour la Turquie. Le sol bosniaque, merveilleusement fertile, n’est cultivé qu’à de rares intervalles. On n’exploite ses forêts qu’en y mettant le feu. Ses richesses minérales sont à peine explorées ; les transports ne s’y font qu’à dos d’homme ou de cheval. L’Autriche, qui avoisine la Bosnie de trois côtés, jouit de ces contrastes avec sa civilisation, et ne cache nullement ses velléités d’annexion à l’américaine. Heureusement pour les Turcs, la position est très défendable ; mais il faudrait que la Bosnie pût se défendre elle-même, car elle est à peu près bloquée. Son seul moyen de communication avec le reste de l’empire est une route étroite entre la Serbie et le Monténégro.

Ce dernier pays est la clé véritable de la position. On ne peut s’étonner

  1. Pour ce qui touche l’histoire des Serbes en général, nous renvoyons aux excellens travaux de M. Cyprien Robert Voyez surtout la Revue du 15 décembre 1842, du 1 mars et 15 juillet 1843.